Les affiches japonaises du fonds Hiroko Govaers

Émilie Cauquy - Sébastien Bondetti - 2 juin 2008

Madame Hiroko Govaers a permis de faire découvrir au public français le cinéma japonais. Grâce à sa générosité et à celle de sa fille, Yuriko, la Cinémathèque possède, entre autre, une superbe collection d’affiches japonaises.

« Langlois fut le premier à projeter du cinéma japonais, à écrire son histoire. Tous les cycles ont contribué à la découverte du cinéma japonais. Langlois nous faisait ouvrir nos yeux. Même sans sous-titres ! Je me souviens de cette magnifique séance double : Une page folle de Kinugasa et La Cicatrice intérieure de Garrel. Langlois avait fait tirer des copies de ces deux films, c’était déjà un premier lien, nous devions écrire l’histoire nous-mêmes. » Hiroko Govaers, Le Fantôme d’Henri Langlois (rushes).

Donner autant d’importance aux « petits papiers » qu’aux bobines de pellicule. Telle fut l’une des premières règles de l’esprit de collecte démesuré d’Henri Langlois. « Petits papiers » signifient alors affiches, photographies, matériel publicitaire, correspondances, scripts, maquettes, livres, toutes filmographies confondues. Une collection d’affiches japonaises est ainsi née, grâce, en grande partie, aux dons et dépôts d’Hiroko Govaers, immense figure de la diffusion et de la promotion du cinéma japonais en France, des années 1960 à nos jours.

En mai 1963, le Palais de Chaillot est inauguré par une programmation signée Langlois et Mme Kawakita, assistée par Hiroko Govaers (1938-2007). À l’occasion de cette rétrospective historique « Chefs-d’œuvre et panorama du cinéma japonais » Langlois écrit un texte que l’on pourra considérer comme fondateur. Dès lors, les liens s’établissent, s’affirment pour devenir une union sacrée, un système d’échange unique en dehors de toute règle institutionnelle ou conventionnelle. Entre 1974 et le début des années 1990, Mmes Kawakita et Govaers proposent chaque année un programme « clés en main » à la Cinémathèque : grands films contemporains, « Vingt cinéastes d’aujourd’hui », « L’histoire du Japon à travers le cinéma », mais également des monographies (Ozu, Kurosawa, Naruse, Imamura). Certains auteurs, certains acteurs viennent présenter leur grand art à Chaillot. Langlois leur fait visiter le musée du Cinéma et identifier quelques pièces au passage. Les films sont projetés puis conservés à la Cinémathèque, déposés, destinés à circuler en Europe. Près de 600 films sont conservés temporairement à la Cinémathèque. Les institutions japonaises récupèrent de nombreux tirages au début des années 1990 pour les Archives nationales et la Fondation du Japon. Parallèlement, avec cette idée que la Cinémathèque se doit d’être la mémoire vivante et le « papyrus des images », de précieux documents annexes aux films sont collectés, déposés, exposés.Kumonosu-jo / Le Château de l'araignée, Akira Kurosawa (1956)

Hiroko Govaers assure inlassablement cette mission de représentante du cinéma japonais en France, programmant, introduisant, traduisant, intervenant au cœur de toutes les archives européennes et de nombreux festivals : Quinzaine des réalisateurs, Biennale de Venise, Festival de Locarno, London Film Festival et tant d’autres. Le dépôt récent de ses archives administratives, dont une collection précieuse de catalogues de festivals, permettra de retracer cette histoire de l’ombre, de mettre au jour cette méthode « courageuse et obstinée », pour reprendre les mots de Langlois.

Les reçus de dépôts sont rares, pour ne pas dire inexistants. Mais l’analyse de la correspondance Kawakita-Langlois-Eisner-Meerson ainsi que certaines factures autorisent petit à petit la compréhension de cette politique de bons procédés exemplaire et tout à fait exceptionnelle : « the exchange basis ». Échanges de copies neuves – un Kurosawa contre un Gance ou un Ichikawa contre un Vigo –, frais de missions cannoises contre maquettes, transports et assurance logistique de copies : le troc brille de simplicité et d’évidence. Difficile pour l’historien ou le juriste, passionnant pour le cinéphile, libre d’inventer toute la mythologie attenante à ces différents dons et enrichissements.

Ainsi se compose également la collection d’affiches japonaises de la Cinémathèque française, pleinement complétée par le don récent de Yuriko Govaers, fille d’Hiroko. Ce don magnifique et généreux est en parfaite continuité avec le grand œuvre d’Hiroko Govaers pour assurer la connaissance du cinéma japonais. L’étude de cette collection d’affiches retrace les convictions essentielles proposées par Langlois et Kawakita : l’exposition de toutes les formes, la passion de la curiosité bien mieux que des dates historiques, la présentation et la conservation de la mémoire de sensibilités, d’idées et d’arts différents.

Sans doute les affiches les plus inventives de la collection Hiroko Govaers ne sont-elles pas des affiches de cinéma mais de théâtre. Rien d’étonnant à ce que l’on trouve ce type de documents, puisque Hiroko Govaers a été l’une des proches de Shûji Terayama – artiste protéiforme, dramaturge mais aussi cinéaste, homme de radio, poète, commentateur sportif spécialiste de la boxe et du turf – et de sa troupe, la célèbre Tenjosajiki (hommage, en japonais, aux Enfants du paradis de Carné), formée au milieu des années 1960 par et autour de lui.

 Affiche de Théâtre : "Inugami" par la Troupe Temjosajiki (1969) © Kiyoshi Awazu, DR

Ces affiches, exceptionnelles, d’une recherche visuelle et d’une créativité hors du commun, témoignent de l’activité débordante de la compagnie et des graphistes talentueux qui l’ont entourée. Parmi eux, Tadanori Yokoo, plasticien et designer, l’un des fondateurs de Tenjosajiki, et Kiyoshi Awazu dont l’affiche d’Inugami, soit « le dieu Chien », date de 1969. Cette sérigraphie a été réalisée pour la venue de la troupe au festival Experimenta à Francfort. Ce fut la première incursion outre-mer d’une compagnie contemporaine japonaise de théâtre. En clin d’œil, l’affiche utilise de manière décalée des figures exotiques de la culture japonaise, à l’image de cette mariée sur le bas, auxquelles se joignent certains éléments bouddhiques chers à Awazu, le tout rehaussé par des couleurs lumineuses, des kanjis et de multiples polices de caractères. En médaillon sur la gauche se trouve la photo de Terayama. Quant au sourire rouge (au dessus de la tête centrale du bouddha), il s’agit du logo de la troupe.

Terayama – tout comme Awazu, d’ailleurs – fut l’un des compagnons de route de l’Art Theater Guild (ATG, dont Mme Kawakita fut l’une des fondatrices), société atypique de production et de distribution qui a soutenu la Nouvelle Vague japonaise et plus généralement le cinéma indépendant des années 1960 jusqu’aux années 1980. Presque tous sont passés par l’ATG, jeunes et moins jeunes, donnant naissance à des œuvres de grande valeur artistique, sorte de nouvel âge d’or du cinéma japonais à une époque où, paradoxalement, les salles se sont progressivement vidées de leur public.

À l’image de ces films, novateurs et – malgré le travail d’Hiroko Govaers – souvent assez peu connus en Occident, semblables énergie et innovation se répercutent dans les affiches réalisées pour leur sortie, par exemple pour l’originale japonaise d’Éros + Massacre (1970) de Kijû Yoshida. Pour de nombreuses réalisations de cinéastes de la Nouvelle Vague figurent des affiches au sein de cette collection : Shonen (1969) - mais aussi l’affiche française, Le Petit Garçon (1970) - et Ninja bugei-cho (1967), tous deux de Nagisa Oshima ; Shinjû: Ten no amijima (1969) de Masahiro Shinoda ; Gozenchu no jikanwari (1972) de Susumu Hani ; Mujo (1970) d’Akio Jissoji ; Bara no soretsu (1969) de Toshio Matsumoto, dont la Cinémathèque française possédait déjà quelques affiches ; Ryoma ansatsu (1974) de Kazuo Kuroki ; Aru eiga-kantoku no shogai (1975) de Kaneto Shindo ; Nishijin Shinju (1977) de Yoichi Takabayashi… et, bien sûr, pour les films de Shûji Terayama comme Kusa-meikyu (1983).

Kaidan: Ikiteiru Koheiji, Nobuo Nakagawa (1982) © Tadanori Yokoo, DRLes grands studios en difficulté, certains cinéastes « maison », habitués à de plus conséquentes productions purent cependant continuer à réaliser des films grâce à l’ATG, de surcroît plus personnels. Ce fut le cas du cinéaste Kon Ichikawa avec Matatabi (1973), et de Yasuzô Masumura avec Ongaku (1972). Quelques années plus tard, le grand maître de films de fantômes, Nobuo Nakagawa, référence pour nombre de réalisateurs actuels comme Kiyoshi Kurosawa et Hideo Nakata, réalisera son film testamentaire, le sublimissime Kaiidan: Ikiteiru Koheiji (1982), dont la Cinémathèque conserve la non moins superbe affiche signée Tadanori Yokoo (ci-contre).

Dans les années 1980 débutèrent de jeunes cinéastes emblématiques du renouveau, notamment le cinéaste punk Sogo Ishii. L’inventivité graphique est une nouvelle fois au rendez-vous avec l’affiche gribouillée art brut de Gyakufunsha kazoku / Crazy Family (1984). Plus sage tout en restant dans la même veine enfantine, le coloriage de Manpei Ikeuchi pour celle d’Ososhiki (1984), tragi-comédie de l’acteur passé à la réalisation Juzo Itami, connu en France pour Tampopo (1985).

Un cinéaste comme Seijun Suzuki eut lui aussi recours à l’ATG avec Zigeunerweisen (1980). Détail extraordinaire : cette collection comporte également des affiches pour les films qu’il a réalisés à la Nikkatsu vingt ans avant, dont Kenka erejii / Élégie de la bagarre (1966). C’est au sein de la même société de production que débuta un autre réalisateur japonais internationalement reconnu, Shohei Imamura. La Cinémathèque possède à présent des affiches de ses premiers films (Buta to gunkan / Cochons et cuirassés, 1961), mais aussi pour ses films plus tardifs (Fukushû suruwa wareniari / La vengeance est à moi, 1979).

Hibotan bakuto, Buichi Saito (1972)Éclectique, la collection ne se limite pas à quelques auteurs et à quelques signatures, mais comprend l’ensemble des genres du cinéma japonais, reflet de la richesse et de la diversité de cette cinématographie : du film de yakuzas avec Ken Takakura ou l’actrice Junko Fuji (ci-contre dans Hibotan bakuto: jingi toshimasu de Buichi Saitô) à la série des Zatoichis avec Shintaro Katsu, en passant par les films érotiques (Yojohan Fusuma no urabari de Tatsumi Kumashiro), mais aussi la science-fiction (Matango d’Ishirô Honda). Ne sont pas non plus en reste les films d’animation, comme l’étonnant Cleopatra (1970), fruit du génial mangaka Osamu Tezuka et de l’expérimentateur Eiichi Yamamoto (à qui l’on doit également Kanashimi no Beradona / Belladonna en 1973). Ajoutons à cela les documentaires indépendants, qu’Hiroko Govaers a contribué à faire connaître : Dokkoi ningenbushi / Le Chant de la bête humaine (1975) de Shinsuke Ogawa, ou encore une affiche pour le film coup de poing Yuki Yukite Shingun (1987) de Kazuo Hara, sur les vétérans de l’armée japonaise.

Figurent par ailleurs des affiches de classiques du cinéma japonais et leur déclinaison en affiches françaises ou italiennes, que ce soit pour des festivals ou des sorties nationales, comme pour celle de Rashômon (1950) ; des photobustas – version italienne des lobby cards – notamment pour Shichinin no samourai / Les Sept Samouraïs (1954) ; sans oublier d’autres affiches japonaises toujours pour les films d’Akira Kurosawa (Kumonosu jô / Le Château de l’araignée, Yojimbo), existant parfois même sous plusieurs formats.

Aussi, tant par la quantité que par la qualité, ce don constitue un témoignage fort sur les activités de Mme Hiroko Govaers. Déjà riche de « pièces japonaises » (affiches de films de Kenji Mizoguchi, de Teinosuke Kinugasa, affiches japonaises de films français distribués par la Towa, maquettes de décors d’Hiroshi Mizutani), la Cinémathèque française se doit désormais de préserver ces trésors, fruits émouvants et précieux d’une vie entière dédiée au cinéma.


Émilie Cauquy est cheffe de projet de la plateforme HENRI, responsable de la valorisation de la collection film à la Cinémathèque française, inventrice de projections augmentées sous la forme de ciné-spectacles et programmatrice invitée pour le festival Il Cinema Ritrovato à Bologne.

Sébastien Bondetti est chargé de traitement documentaire au service "Affiches, dessins et matériel publicitaire" à la Cinémathèque française.