En 2021, Mimi Lempicka fait don d'une partie de ses archives graphiques à la Cinémathèque française : mood boards (planches de tendances), maquettes de costumes, planches de figuration, palettes de couleurs, planches et fiches de fabrication des costumes (conservés dans la collection des dessins, ces documents sont numérisés et consultables à la Bibliothèque du Film). À cette occasion, elle s'est confiée sur sa formation, sa vision du métier de créatrice de costumes et ses méthodes de travail, qui mettent en exergue le rôle fondamental du dessin dans ses recherches.
« Mes études aux Beaux-Arts ont été fondatrices »
« J'y ai appris à réfléchir, écrire, nommer un travail, lui trouver un titre, avoir un discours pour faire comprendre ce travail et lui trouver la forme visuelle idéale. Je faisais des « panoplies », j'avais le goût de raconter des histoires avec des personnages. J'étais libre dans mes matériaux, je n'étais pas dans du classique. Et tout servait, parce que ce que j'avais appris à faire en dessin, en couture, en sculpture, en photo, me permettait de tout faire moi-même et de choisir mes matériaux, de constituer une iconographie. »
« L'iconographie est un point de vue. Il y a des images qui m'arrêtent, et d'autres pas » Pour coller au plus près des attentes du réalisateur, Mimi Lempicka a mis en place une méthode de travail bien à elle. Après avoir lu le scénario qui enclenche le processus de création, elle commence un travail de recherche très documenté à l'aide, entre autres, de sa bibliothèque personnelle. « J'ai des classeurs entiers d'images et je m'en sers tout le temps. » Elle puise son inspiration dans les sources les plus diverses et les plus éloignées du vêtement ou du tissu, et encore plus des magasins de prêt à porter, dans la peinture et le dessin surtout, les images de films, les photos. « Il faut chercher des sources d'inspiration, des axes, c'est ce que j'appelle des déclencheurs. Au départ, on ne sait pas ce qu'il va se passer, c'est vraiment mystérieux. Cela représente du temps, il faut y passer beaucoup de temps. [...] Choisir par exemple d'aller voir Botticelli plutôt que Georgia O'Keeffe, c'est déjà un point de vue. À une époque, j'étais complètement influencée par le végétal. Le végétal m'a amené à trouver les tissus, les couleurs et les formes pour Iznogoud (Patrick Braoudé, 2004), Les Rois maudits (Josée Dayan, 2005) »
Mimi Lempicka constitue un dossier avec ses références visuelles, images qui lui « permettent de raconter l'atmosphère du film », à partir de livres, d'expositions, de photos, de tableaux... Elle montre ensuite au réalisateur l'iconographie qu'elle a réunie quand « dans tout cela, [elle a] l'impression que se dégage l'esprit du film. » Pour Au revoir là-haut, elle a présenté jusqu'à trois essais à Albert Dupontel. « À chaque fois, il y avait environ 300 images, et à chaque fois il me disait "je ne vois pas mon film". C'était de l'iconographie dite classique, d'époque, avec déjà des points de vue, mais ce n'était pas assez personnel. Jusqu'à ce qu'il dise "je veux faire un film moderne". Il voulait une chromie proche des autochromes d'Albert Kahn, avec beaucoup de noirs, des couleurs mangées. » Mimi Lempicka lui propose alors une iconographie beaucoup plus ciblée.
Pour Adieu les cons, elle s'inspire de trois références cinématographiques, Playtime de Jacques Tati « pour les chromes, pour les couleurs, pour tout le rapport à la ville », Brazil de Terry Gilliam et Bonnie and Clyde d'Arthur Penn. Adieu les cons et ses personnages constituent pour elle « la synthèse de ces trois films. » Si Mimi Lempicka « n'intellectualise pas son travail », elle « revendique d'y réfléchir, de ne pas faire de l'habillage. » Elle pense le costume d'un point de vue artistique, le dessin lui permettant de traduire ses idées.
Planche de figuration : la rue et le marché (Iznogoud, Patrick Braoudé, 2004), encre, lavis d'encre et mine de graphite (D166/32).
« Le rôle du dessin est fondamental, c'est un langage visuel universel »
« Dessiner, ce n'est pas mécanique, c'est cérébral. Le dessin nous amène à rêver, à voyager, à trouver de nouvelles pistes [...] C'est une démarche essentielle dans le processus de création. Il faut absolument en passer par là. Le dessin raconte un personnage ou le ton d'un film, il enrichit l'image. Ce sont des critères narratifs que l'on apporte et qu'il faut traiter. Notre travail doit être cinématographique, tout le temps. »
Ainsi, après avoir lu le scénario, assemblé son répertoire d'images et parlé avec le réalisateur, elle commence à dessiner. « La maquette, c'est le premier pas [...] Parfois, lorsque je fais un dessin, j'y appose une petite image, j'ajoute un élément à côté et cela devient un peu comme une planche descriptive de l'idée du costume pour le personnage. Il y a souvent plusieurs planches pour un seul costume. » Ses maquettes constituent des documents de travail qui lui permettent « de se faire comprendre de tous », du réalisateur d'abord, des autres collaborateurs artistiques ensuite. « Elles regroupent les idées, les couleurs, les formes nécessaires à la direction artistique du film, à l'image du film, puisque pour chaque film on a une image différente. »
Si Mimi Lempicka aime que « le dessin soit beau », elle souhaite avant tout « que l'on comprenne le personnage [...] Je ne fais pas du dessin de mode. Je dessine la morphologie du comédien. Ensuite je l'habille, je fais ça tout le temps. Je prépare un paquet de planches avec le personnage et je dessine [le costume] par-dessus le corps. » Elle produit ensuite des éléments visuels papier, les « groupes ou palettes de couleurs », indispensables pour anticiper le rendu à l'écran de son futur travail de fabrication et offrir une cohérence visuelle lors de l'apparition des différents personnages.
Planche de figuration : été Lutécia (Au revoir là-haut, Albert Dupontel, 2016), encre et lavis d'encre (D166/59).
« Une fois que j'ai constitué toutes les maquettes, j'édite le carnet des costumes : la charte »
Elle confectionne une charte graphique sous la forme de carnets de format A5, qui reproduisent ses planches et ses maquettes en réduction, et qu'elle distribue à toute son équipe. « Ils permettent à chacun de pouvoir communiquer durant cette ultime étape. » « Petit à petit, on construit tous les personnages du film, tous les arrière-plans, et tout à coup, cela devient cohérent. Un ton général s'est installé au travers de chaque maquette et si on met toutes les maquettes ensemble, on voit le film, les personnages du film, on les sent. Donc, après, en réalisation, je ne veux plus qu'on dise "ah on pourrait faire ci ou ça..." Je ne veux pas, parce que je sais qu'on va s'éloigner de la cohérence et du premier jet. Il faut revenir à la maquette, tout le temps. Après coup, je m'aperçois toujours que les costumes sont au plus près des maquettes qui ont été sorties. C'est la raison pour laquelle le carnet existe. Il ne faut jamais s'en éloigner. C'est la charte. De la même façon, il faut relire le scénario sans cesse. Plus on le relit et plus on comprend des choses qu'on n'avait pas perçues. »
Maquettes de costumes (Immortel, ad vitam, Enki Bilal, 2002), mine de graphite (D166/29) et mine de graphite et crayon de couleur (D166/30).
« Je veux toujours que ce soit intemporel, c'est une obsession »
Lorsqu'elle travaille sur un film, qu'il soit contemporain ou non, Mimi Lempicka cherche avant tout à « servir l'histoire », se mettre au service d'un personnage, d'une œuvre, dans ce qu'elle a de plus singulier. Elle crée un vocabulaire différent pour chaque film, veut sortir des cases et des stéréotypes. « Le personnage de Virginie Efira dans Adieu les cons par exemple, est complètement intemporel. De cette manière le film pourra être vu n'importe quand. Il n'est pas attaché à une période de l'histoire. On rentre dans un récit, un scénario unique et on suit les personnages qui nous racontent leur histoire. [...] Sur Les Rois maudits de Josée Dayan, on a débordé du Moyen-Âge, parce que le Moyen-Âge c'est sombre. J'ai proposé des couleurs italiennes de la Renaissance, Josée a trouvé cela génial. Il ne faut pas hésiter à mélanger les références parce que du coup, on fait quelque chose de plus personnel et de plus propre au film. »
Ainsi, après avoir publié en 2018 Les Costumes font leur cinéma : Les Carnets de Mimi Lempicka, et exposé son travail à la galerie Le 16 rue Voltaire dans le 11e arrondissement de Paris, Mimi Lempicka rappelle à travers ce don et ses propos que « la transmission, c'est expliquer comment on peut aborder une création de costumes, montrer une possibilité » et qu'il est « très important de pouvoir montrer les films que j'ai faits et les étapes artistiques pour arriver au résultat. »
Palette couleur (Les Beaux Gosses, Riad Sattouf, 2008), feutre (D166/52).
Mood board (Les Beaux Gosses, Riad Sattouf, 2008) (D166/55).
Entretien réalisé par Françoise Lémerige, chargée du traitement des collections dessins et œuvres plastiques à la Cinémathèque française et par Joanne Furlan, chargée du traitement des périodiques à la Cinémathèque française, le 25 septembre 2021.
Sources :
Fonds Mimi Lempicka (dessins et archives) consultable à la Bibliothèque du film.
Mimi Lempicka, Les costumes font leur cinéma : les carnets de Mimi Lempicka, Vanves, E/P/A/ Le Chêne, 2018.
« Mimi Lempicka : l'ingénue costumière » in Les Arts dessinés, n°6 mars/mai 2019, pp. 124-130.
« Les Costumes au cinéma » in Dandy, 1er mars 2019, pp. 86-91.
« Elle taille des costumes » in Le Journal du dimanche, 12 février 2021, p. 86.
Site de Mimi Lempicka : www.mimilempicka.fr