Revue de presse des « Prédateurs » (Tony Scott, 1982)

Véronique Doduik - 3 septembre 2019

Les Prédateurs (Tony Scott)

Adapté du roman The Hunger (1981) de l’américain Whitley Strieber, Les Prédateurs sort en France en juillet 1983. C’est le premier long métrage de Tony Scott, frère cadet du déjà célèbre Ridley Scott (réalisateur d’Alien en 1978, qui vient de tourner Blade Runner).

Présenté hors compétition au Festival de Cannes en 1983, Les Prédateurs se distingue par un casting d’acteurs stars, dont l’alchimie doit être pour le film un atout majeur : Catherine Deneuve, auréolée du César de la meilleure actrice pour son rôle dans Le Dernier métro de François Truffaut en 1980 ; le chanteur David Bowie, devenu à cette époque une icône pop mondiale avec son album Let’s Dance sorti en 1983 ; et enfin l’actrice américaine Susan Sarandon, moins connue mais déjà remarquée dans le film musical culte de Jim Sharman, The Rocky Horror Picture Show (1975). Les Prédateurs renouvelle un genre cinématographique un peu essoufflé, le film de vampires, et situe l’action dans la ville de New York à l’époque contemporaine. Malgré son modernisme affirmé, le film sera lors de sa sortie un échec à la fois critique et commercial.

Dracula chez David Hamilton

La critique reproche principalement aux Prédateurs son maniérisme excessif. Tony Scott a débuté comme réalisateur de films publicitaires et forgé son style dans l’esthétique pop rock des années 1980. Pour de nombreux critiques, il n’est guère plus qu’un talentueux technicien faisant feu de tout bois et substituant à une véritable mise en scène un déluge d’effets spéciaux et de procédés visuels à la mode. Pour Libération, le film se résume à « une titanesque partouze technologique pour un public nourri au lait télévisuel ». « Prenez une cartouche de cigarettes, des colombes apprivoisées, du fumigène, un costumier branché, une horreur vieille comme le cinéma (les vampires et leur immortalité), David Hamilton pour l’esthétique et Helmut Newton pour les idées, secouez, ça donne Les Prédateurs » ironise Gérard Lefort dans les colonnes du journal. Avis partagé par Le Monde, sous la plume de Jacques Siclier : « Il y a des brumes ondoyantes, des décors somptueux, des voiles qui flottent, des lâchers de pigeons, et, pour finir, tout un fantastique en toc. Tony Scott aurait pu nous emmener, à la fois éblouis et horrifiés, dans un superbe conte de vampirisme, s’il ne s’était pas lancé dans une frénésie d’images allant de l’esthétique façon David Hamilton au style syncopé, accrocheur et superchic des spots publicitaires pour parfums et bijoux ». Le Figaro renchérit : « probable variation symbolique sur le problème de l’immortalité, le film est plein d’énigmes dont le réalisateur n’a pas le temps de nous tendre les clés, occupé qu’il est à faire virevolter sa caméra pour nous étourdir d’images fugitives, nous éclabousser la rétine de couleurs, nous dérouter avec mille plans enchaînés à toute vitesse, et qui juxtaposent réalité, imaginaires, rêves, présents, passés ou futurs ».

L’empreinte du cinéma publicitaire

Pour une majorité de critiques, Tony Scott, s’est fourvoyé en voulant réaliser un long métrage. « Condensé en quelques minutes, le film aurait peut-être donné un excellent vidéo clip pour un hit de David Bowie. Malheureusement, le scopitone a des prétentions de film et ça dure 1h30 », écrit Libération. Les Cahiers du cinéma partage cette opinion : « Toute une école semble surgir du cinéma publicitaire. Tony Scott en est un nouveau représentant. Ces cinéastes ont tous plus ou moins appris à penser en termes d’effets visuels de quelques secondes, d’illustration commerciale. En passant au long métrage, il leur reste à envisager le contenu. Et c’est là leur problème. Les Prédateurs est un excellent vidéo-clip, un très bon selon des critères publicitaires, mais, par ailleurs, conçu comme un tout cinématographique, il est interminable et vide de sens ».

Une virtuosité gratuite ?

La question du fond et de la forme est bien au centre des débats. Pour certains critiques, la forme, fâcheusement, envahit tout : « Tony Scott ignore la sobriété et étale au grand jour sa science de l’image, desservant par contrecoup son sujet », écrit Les Cahiers du cinéma, regrettant que le thème central du film, celui du vieillissement, inhérent à la condition humaine, soit traité « comme une maladie tragique, et non comme une question philosophique ». Mais pour d’autres, c’est précisément cette préciosité qui fait tout le charme des Prédateurs. Robert Chazal dans France-Soir souligne la beauté formelle du film : « les effets spéciaux ne sont pas virtuosité gratuite. Ils servent la psychologie et éclairent le drame des personnages. Ainsi, le vieillissement de David Bowie, l’amant de la déesse, n’est pas seulement spectaculaire : il est l’aspect visible de la ruine et de la détresse d’un immortel qui ne va plus l’être ». Jacqueline Nacache écrit dans la revue Cinéma : « sous un look hyper-moderne conféré par le montage, la musique, la lumière, Tony Scott sait préserver un classicisme très pur qui contribue largement à la réussite du film ». Rejoignant toutefois Les Cahiers du cinéma, la critique nuance son propos : « les limites du film, malheureusement, sont aussi dans ses perfections : victime de sa plastique superbe, il reste un peu à la surface de son sujet, et ne remet pas en question cette angoisse de la mort autant que de l’immortalité, qui est l’essence même du cinéma et de la littérature fantastiques ».

Un film de vampire contemporain

Comment s’inscrit le film de Tony Scott dans l’histoire du « film de vampire » ? La controverse est vive parmi les critiques. L’histoire contée par Tony Scott est celle d’une malédiction : Miriam Blaylock (Catherine Deneuve), immortelle prêtresse venue de l’Égypte antique, possède le pouvoir de donner la vie éternelle à ses amants. Ce don a pourtant un prix : l’amour de Miriam doit demeurer intact, sans quoi le compagnon verra son vieillissement reprendre et s’accélérer jusqu’à la mort. C’est ce qui arrive à son mari, John, (David Bowie), et donne l’occasion d’admirer selon Libération « l’excellent travail de maquilleur de Dick Smith (déjà remarqué dans L’Exorciste de William Friedkin (1972), qui fait vieillir l’acteur de quelques cinquante années au cours d’une seule scène avec une extraordinaire vraisemblance ». Tony Scott débarrasse en grande partie l’intrigue de tout le folklore vampirique, aussi « les amateurs d’histoires de vampires ne retrouveront rien de la poésie et des grands thèmes de cette mythologie, qui a imposé un genre classique même à la grande littérature avec le Dracula de Bram Stoker ou Le Horla de Maupassant » déplore Le Parisien libéré. « Catherine Deneuve essaye tant bien que mal de maintenir le flambeau, d’entretenir une tradition des Carpates au cœur de New York, de suçoter les veines frelatées qui lui tombent sous les canines », ironise Le Quotidien de Paris.

A contrario, Jacqueline Nacache défend « cette très belle variation sur le vampirisme qui s’efforce de remonter aux origines du genre, à une époque où le film d’épouvante était avant tout suggestion, menace, angoisse, et non, comme dans la plupart des films américains d’aujourd’hui, la représentation la plus réaliste possible de l’objet terrifiant. Non que les maquillages sophistiqués et les effets spéciaux soient absents, mais ils servent à émouvoir plus qu’à terrifier, à pénétrer dans le drame intime des personnages ». Pour les partisans du film, Les Prédateurs est aussi une œuvre pleinement en phase avec son époque : beaucoup de critiques y voient une allégorie de la maladie mortelle qui, en 1983, venait d’être officiellement baptisée sida. Le dépérissement subit du personnage incarné par David Bowie, l’incompréhension des médecins, l’obsession du sang qui apparaît en insert lors de la scène d’amour entre Deneuve et Sarandon exprimeraient ce sens souterrain du film.

Le rejet par la critique des Prédateurs à sa sortie et son fiasco commercial changeront la trajectoire de Tony Scott. Dans la deuxième moitié des années 1980, délaissant le raffinement de ce premier essai, il réalisera quelques blockbusters parfois contestés, comme Top Gun (1985) ou Jours de tonnerre (1989). Cependant, avec le temps, Les Prédateurs accèdera pour certains cinéphiles au statut de film culte.


Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.