Y a-t-il une histoire commune entre Youssef Chahine et la Cinémathèque française ?
Complètement. Une histoire qui commence en 1964, quand Nasser commande un film de propagande à Youssef Chahine, pour célébrer les relations entre l'Egypte et l'Union Soviétique. Commande immédiatement subvertie par le cinéaste, qui transforme l'hymne collectiviste en drame social. Le résultat, Un jour, le Nil, est censuré puis interdit dans les deux pays. Chahine réussit à sauver et conserver une copie positive 70 mm, qu'il fait sortir du pays par valise diplomatique et qu'il confie à... Henri Langlois, rencontré quelques années plus tôt lors d'un festival. Dans La Mémoire, point culminant du versant autobiographique de sa carrière, Chahine mettra d'ailleurs en scène cette rencontre, avec un acteur arabe grimé en Langlois. Une scène à découvrir dans l'exposition.
Quel est le fil conducteur de l'exposition ?
Ce qui fait le sel du cinéma de Chahine, ce mélange constant et réjouissant de grand spectacle et de politique. Chahine, nourri aux comédies musicales égyptiennes et américaines, envisageait le cinéma comme un divertissement total, musique et danse réunies à l'écran. Mais il proposait aussi, en sous-texte, un cinéma de combat. Bien qu'ayant dû ferrailler avec la censure tout au long de sa carrière, Youssef Chahine a été le témoin, et le conteur, des grands bouleversements politiques de son temps, jusqu'à anticiper, avec Le Chaos (2007), les événements du Printemps arabe. L'exposition se fait fort de décortiquer la sophistication de cette mise en scène, les différentes étapes d'écriture, les découpages ultra-précis, tout en présentant des instruments de musique, des costumes, des bijoux et tout l'apparat des comédies musicales égyptiennes.
L'exposition insiste aussi sur les stars dont s'est entouré Chahine...
Chahine a dirigé les plus grandes figures du monde musical arabe : Farid El Atrache, Chadia, Majda El Roumi, Dalida. Et puis, Oum Kalthoum, la Diva égyptienne, l'Astre d'Orient. En remerciement de son soutien pendant la guerre des Six Jours, Oum Kalthoum se voit offrir un biopic par Nasser. Et c'est Youssef Chahine qui s'y colle. Le projet ne verra finalement jamais le jour mais Chahine avait commencé à travailler. Il est ainsi la seule personne à avoir pu filmer Oum Kalthoum en couleur et avec les moyens du cinéma. Ces images, pour certaines complètement inédites, seront dans l'exposition. Chahine, c'est aussi un incroyable découvreur de talents. C'est lui qui lance Omar Sharif en 1954 et lui présente sa future femme, la grande star Faten Hamama. Ce couple mythique, phare du cinéma oriental, est partie intégrante de l'exposition.
Quelle part est réservée à la seconde moitié de carrière de Chahine ?
Une large partie, à la fin de l'exposition. Il faut savoir qu'après son infarctus en 76, Chahine change son cinéma, qui se fait plus autobiographique. C'est avec ces films qu'il accède à la reconnaissance internationale : Ours d'argent à Berlin, Prix du 50e anniversaire à Cannes, autant de trophées que nous montrons dans l'exposition. C'est aussi à partir de là que se nouent de nouveaux liens avec la France, la rencontre avec son producteur Humbert Balsan, les tournages d'Adieu Bonaparte et du Sixième jour, le film avec Dalida, malheureusement mécompris, et largement évoqué dans les dernières parties de l'exposition.