En regardant l’œuvre d’Hervé avec le recul des années par rapport au moment de la fabrication des films, il m’est apparu d’un coup que la figure qui traverse son cinéma est : « la fille ». Figure démultipliée dans les fictions, les filles et leurs acolytes les garçons. Non pas la femme et l’homme, non pas le féminin et le masculin mais, les filles et les garçons.
Les garçons, ils les connaît, il en fait partie, il les montre un peu lourdauds, malmenés (et ils le méritaient bien, disait-il), malmenés par celles qui échappent à leur désir, leur mainmise. Les garçons ne sont pas très intéressants pour lui, par contre le secret des filles l’inspire. Les échappées des filles. Leur fantaisie, leur énergie, leur combativité, leur émotion, leurs erreurs, leurs jeux, leur liberté qu’elles retrouvent toujours au bout du compte même si elles font l’expérience de la perdre un moment.
Grand Bonheur et On appelle ça… le printemps explorent, scrutent, font éclore ce qu’Hervé tente d’appréhender dans la vie et chez les comédiennes : le mystère des filles.
Fasciné, il le met en scène comme un chef d’orchestre qui dirige les instruments, sachant quelle note il cherche et obtiendra sur le tournage à l’instant désiré, quelle note il s’évertuera ensuite à restituer intacte au montage. Ce mélange et contraste entre la rigueur du chef d’orchestre et l’émerveillement de l’enfant au spectacle regardant jouer ensemble les filles et les garçons, les comédiennes et les comédiens est propre à Hervé, à son travail de cinéaste. Toute la précision qu’il y met, tous les affres que ce labeur lui donne a un seul but : partager son désir de légèreté, de fantaisie, son plaisir du jeu, en le transcrivant sur l’écran.
Dans le documentaire Reprise, une fille déclenche un nouveau désir d’investigation. Cette fille « le botte ». Elle est la seule fille au milieu des gars qui essaient de la raisonner. Elle ne veut pas se rendre, elle leur échappe. Cette figure ouvre un mystère qu’il aimerait percer et, tel un détective, il se lance dans cette quête.
Et puis il y a : À quoi pense Madame Manet sur son canapé bleu. Au centre du tableau, encore une fille, plus mûre, dont il va tenter de capter les échappées de sa pensée face à son « peintre de mari ». Un nouveau mystère à élucider.
Un documentaire, une nouvelle fiction, qui cette fois agit sur nous comme une pièce radiophonique imagée où les personnages s’animent dans notre imaginaire. Hervé nous raconte ce que lui même se raconte.
Ce ne sont pas les amantes de Manet qui le motivent, ce n’est pas le désir qu’il interroge, c’est l’amour. Une maturité apparaît. Hervé livre une de ses profondes convictions : l’amour fidèle. Non pas la fidélité en amour, toute son œuvre de fiction se joue des infidélités des couples ou des amants, tout comme il s’amuse ici des histoires amoureuses de Manet. Ce qu’il nous livre dans ce portrait, c’est sa croyance à l’amour pour toute la vie : qu’une femme qu’il a aimée, il l’aimera toute sa vie et peu importe ce qu’il advient ou est advenu. Mme Manet incarne ce sentiment rare.
Il est impossible pour tous ceux qui ont connu Hervé d’oublier son regard toujours curieux de l’autre, notamment de cet autre qu’est pour lui « la fille », d’oublier ses grands yeux bruns bienveillants, auxquels, rien n’échappait.
Renée Falson