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« Je ne suis pas fétichiste du pied, mais quand j’ai fait le montage de Viridiana, je me suis aperçu que j’avais tourné, sans m’en apercevoir, soixante-dix plans de pieds. Bien entendu je les ai presque tous coupés. Mais dans Le Journal d’une femme de chambre, chaque fois qu’on verra un pied, ce sera exprès ! » C’est donc une histoire de pied et de bottines que tourne Buñuel en décembre 1963. L’actrice qui porte ces souliers montants et qui avait fasciné Buñuel par sa façon de marcher dans le film de Louis Malle, Ascenseur pour l’échafaud, c’est Jeanne Moreau. Elle incarne Célestine, femme de chambre pour la grande bourgeoisie, dont elle connaît tous les vices et les caprices. Avarice de la patronne, droit de cuissage du patron. Elle doit aussi composer cette fois avec le patriarche fétichiste. Buñuel dissèque les personnages et l’atmosphère provinciale, dressant un tableau cynique à l’humour grinçant qui lui permet de régler ses vieux comptes avec les bourgeois mais aussi avec le clergé, l’armée et la patrie.
Pour ce premier film tourné en France depuis L’Âge d’or, il lui fallait un scénariste français. Son producteur lui présente un jeune homme qui a travaillé avec Pierre Étaix. La rencontre a lieu lors d’un repas. « Buvez-vous du vin ? » lui demande Buñuel en éclaireur. Le scénariste répond que non seulement il aime le vin mais qu’en plus ses parents sont viticulteurs. « Très bien, réplique Don Luis. Si nous devons travailler ensemble et qu’un jour les choses ne sortent pas bien, nous pourrons au moins parler de vin. » C’est ainsi que débutèrent dix-neuf ans de collaboration fabuleuse entre Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière.