Avec Dennis O'Keefe, Claire Trevor, John Ireland.
Juste après La Brigade du suicide, Anthony Mann réalise l'un de ses films les plus sombres. Avec une tension en clair-obscur (génial John Alton), la cavale d'un truand évadé de prison est perturbée par le triangle amoureux formé par le fugitif et les deux femmes qui l'accompagnent. Apogée du style noir, où les personnages ne cessent d'entrer et de sortir de l'ombre, tiraillés entre romance et vengeance. De la perversité lascive de la femme jalouse (Claire Trevor) à la violence spectaculaire du chef de gang (Raymond Burr), tout n'est qu'obsession, acharnement et cruauté, d'un pessimisme à toute épreuve et visuellement éblouissant.
Anthony Mann s'affirme d'abord comme un maître du film noir, puisant dans les contraintes de la série B une exigence d'expressivité maximale dans la composition, les angles de caméra, la profondeur de champ. À la Eagle-Lion, sa rencontre avec le chef opérateur John Alton lui permet d'affiner un style plastique qui « peint en lumière » et sculpte les ténèbres, où chaque plan est porté à incandescence. Les extérieurs réels en sont dramatisés, les décors de studio lestés d'un poids concret. Avant d'être appliqué au film historique et au western, ce ténébrisme matérialise dans Marché de brutes une réflexion morale sur la violence, et transmue le fait divers en tragédie.
Serge Chauvin est maître de conférences en littérature et cinéma américains à l'université de Nanterre. Il a publié Les Trois vies des Tueurs : Siodmak, Siegel et la fiction (Rouge Profond, 2010) et de nombreuses traductions de fictions anglophones contemporaines (Colson Whitehead, Jonathan Coe, Richard Powers, Cormac McCarthy...).
Bernard Benoliel est directeur de l'action culturelle et éducative à la Cinémathèque française.