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Blue Velvet répond dans la filmographie de David Lynch à une phase d'ajustement. Après la démesure et le gadin de Dune (1983) au box-office, le cinéaste revient à un projet d'envergure plus modeste et canalise en une même forme les deux grandes tendances de son cinéma : un classicisme imprégné des mythologies hollywoodiennes et d'angoissantes bouffées d'étrangeté plastique. Leur réunion inaugure le modèle lynchien du récit scindé, boucle de fascination où la réalité n'est jamais d'un seul tenant, mais multiple, débouchant régulièrement sur son envers. Blue Velvet décrira donc une traversée des apparences, celle de Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan), jeune provincial bien sous tous rapports qui, guidé par une curiosité malsaine, bascule dans une dimension nocturne de l'existence, dans le sillon d'une chanteuse de cabaret masochiste (Isabella Rossellini). Tout, dans la splendeur vénéneuse du film, nous invite à plonger ainsi sous la surface ordinaire des choses, où gisent une vermine et une corruption résiduelles, un arrière-monde de pulsions primitives (violence, sexualité, cruauté, perversions) incarnées par le croquemitaine déglingué que joue Dennis Hopper. Attiré par le stupre, un brin voyeur, Jeffrey promène son adolescence titillée dans ce décor rural dont la tranquillité nourrit des monstres invisibles. C'est en ce sens qu'on peut voir en Lumberton, petite ville de Caroline du Nord où se déroule Blue Velvet, l'esquisse des méandres cauchemardesques de la future Twin Peaks.
Mathieu Macheret