Restaurations 4K, financées par Kadokawa Corporation pour Daiei, réalisée par le laboratoire Cineric au Portugal. Sortie en vidéo en 2022.

Tiré d'un scénario original de Kaneto Shindô, cette troisième et ultime collaboration de Kawashima avec Ayako Wakao évoque curieusement le récent Parasite de Bong Joon-ho. Dans ce huis-clos, une famille en plein processus de mondialisation essaie d'échapper à son destin de peuple vaincu en s’appropriant ce qui n’est pas à elle. La cité pavillonnaire où elle réside est, de surcroît, maintenue en état d'urgence par sa proximité avec une base américaine. Un an après la grande vague de contestation, provoquée par la reconduction du Pacte de sécurité nippo-américain, Kawashima laisse apparaître les plaies encore béantes de cette société idéologiquement malmenée. Ayako Wakao y incarne, avec détachement, une secrétaire aussi arriviste qu'insensible, utilisant plusieurs hommes (dont le fils de famille) afin de gagner son indépendance. Les plans effectifs ou virtuels dans lesquels la comédienne monte à pas comptés l’escalier de l’immeuble nous rappellent parfois les lentes déambulations muettes de Bernadette Lafont dans Le Révélateur de Philippe Garrel, œuvre qui, elle aussi, se repliait sur son propre univers mental une fois passées les désillusions de Mai 68. Petit théâtre d’un Japon prisonnier volontaire de sa bulle spéculative, La Bête élégante ne rencontra malheureusement pas son public au moment de sa sortie. Il gagna néanmoins rapidement son statut de film culte aux yeux des cinéphiles, et fut adapté en pièce de théâtre quelques années plus tard.

Clément Rauger