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Œuvre centrale dans la filmographie de Miklós Jancsó, Les Sans-Espoir combine les obsessions visuelles et thématiques de son créateur : la rencontre de destins individuels perdus dans une trame historique destructrice, l’ancrage des luttes et répressions politiques dans la ruralité et une vision, singulière, chorégraphiée, de la narration, qui préfère toujours la représentation brute, sèche, violente, d’une humanité diluée dans le chaos de l’arbitraire à la psychologie descriptive. Premier succès international de Jancsó, Les Sans-Espoir raconte la traque, vingt ans après la révolution indépendantiste de 1848 qui avait brièvement porté au pouvoir Lajos Kossuth, des derniers révolutionnaires dans les steppes hongroises. Ethnologue et historien de formation, Miklós Jancsó s’éloignait alors, au grand dam des autorités communistes, des récits exemplaires et des figures tutélaires, pour faire de l’histoire hongroise celles des oubliés du progrès, des vagabonds jetés sur les routes désertes d’un pays en déshérence morale. C’est ici par la mise en scène de la puissance néantisante de l’espace infini, prison sans limite, qu’il définit les contours de sa comédie humaine. Celle d’un peuple étouffé dans un système concentrationnaire où le vivant est aussi anonyme que le mort. L’écho temporel et politique était criant : Jancsó sera obligé, à la sortie du film, de déclarer publiquement que celui-ci restait une pure fiction sortie de l’imagination fertile de son auteur.
Ariane Beauvillard