Restauration en 4K par le Hungarian Film Institute – Filmarchive & Filmlab, sous la supervision de Béla Tarr.

Caméra épaule, plans serrés en longue focale, dans un style direct, vérité, et en couleurs (bien qu’ici cela importe moins que dans Almanach d’automne), ce deuxième long métrage de Béla Tarr, comme tous ses films jusqu’à Damnation, surprendra les Tarrphiles initiés à ses longs plans-séquences flottants. Ici, le cadre enserre en gros plans des visages comme pris dans l’étau d’un ordre social (travailler, fonder une famille…) qui les étouffe, en même temps qu’il traduit le désir de la caméra de percer un vertige existentialiste qui sourd de regards mélancoliques. Van der Keuken disait que l’on regarde les choses comme si on regardait un mur, mais que l’on veut regarder derrière le mur, et que l’on ne sait pas s’il y a quelque chose derrière. Le réalisme des premiers films de Béla Tarr a quelque chose de ce mur dont parle Van der Keuken. Une forme de chronique sociale réaliste - plus que du réalisme socialiste - derrière laquelle pointe le trouble d’un mystère plus profond qui n’attend pas de réponse. Le style si particulier de Béla Tarr, qu’il développera par la suite, sera une manière d’aller regarder derrière le mur. Mais pour regarder derrière le mur, il faut commencer par le regarder. Le fixer du regard. Le fixer par le regard. Ou, si l’humanisme est un existentialisme, celui de Béla Tarr commence par une forme de réalisme brut. Approcher l’être humain dans sa solitude. Cerner la solitude de tout individu d’être humain. Simplement humain. Le scruter, le sculpter peut-être, avant de danser avec.

Franck Lubet