Les Diables

jeudi 27 janvier 2022, 19h30

Salle Georges Franju

19h30 21h20 (109 min)

Les Diables The Devils
Ken Russell
Grande-Bretagne / 1970 / 109 min / 35mm / VOSTF
D'après le récit Les Diables de Loudun d'Aldous Huxley.

Avec Vanessa Redgrave, Oliver Reed, Dudley Sutton.

XVIIe siècle, Loudun, en France. La mère supérieure Jeanne des Anges, sujette à des fantasmes et hallucinations liées à son attirance pour le prêtre Urbain Grandier, est interrogée par des opposants politiques qui cherchent à renverser l'ecclésiastique.

L'occasion de voir Les Diables sur grand écran, dans une copie d'époque, est rarissime.

De par sa nature profondément anticléricale, violente et érotique, Les Diables choqua en son temps, jusqu'à subir de nombreuses coupes dans tous les sens et dans tous les pays où il est sorti. Mais c'est un film qui serait, comme vous le constaterez, absolument impensable aujourd'hui puisqu'il se mettrait assurément à dos tous les idéologues, d'un extrême à l'autre. Et comme, cela se conclut dorénavant par des mises au pilori plutôt que des scandales, il est à parier que la carrière de son réalisateur n'y survivrait pas.

Plus encore que Love ou Altered States du même cinéaste, Les Diables est pour moi le plus grand film de Ken Russell, cinéaste phare des années 70, le « Fellini anglais » comme l'appelaient certains, qui, après une décennie fulgurante, s'échoua peu à peu tout au long des années 80, n'arrivant pas à accommoder la démesure de ses visions aux changements de goût du public et aux nouvelles règles commerciales entrant en vigueur. Sa réputation de cinéaste au comportement excessif et tempétueux sur les plateaux n'ayant pas dû arranger, cela dit, son cas auprès des financiers...

Au moment des Diables, Russell a 44 ans et son inspiration est intarissable, puisqu'il sort deux autres films, la même année 1971 : la piquante comédie musicale The Boy Friend, avec Twiggy, et The Music Lovers, sa bio captivante et très personnelle de Tchaïkovski. Quand on imagine le travail que représente chacun de ces films, une telle production est absolument sidérante ! Et très raccord avec l'explosion de créativité que connut le cinéma anglais, en même temps que le rock, dans les années 60 et 70, et dont témoignent également les filmos de John Schlesinger ou Nicholas Roeg, par exemple.

Très représentatif de cette époque débridée et luxuriante, y compris dans ses images baignées de LSD, Ken Russell est étrangement un peu oublié aujourd'hui, et quasiment jamais diffusé sur les ondes. Mais ce n'est, j'en suis certain, qu'une éclipse passagère tant l'aspect hors normes de son cinéma finira obligatoirement par le faire revenir à l'avant plan. Cette projection, humblement, cherche à y contribuer.

Avant de laisser ces Diables vous emporter, juste un dernier mot rapide sur quelques acteurs et techniciens du film.
Pour signaler que c'est l'œuvre préférée de toute leur filmo des deux acteurs principaux, l'immensément classe Vanessa Redgrave et le si puissant Oliver Reed qui trouve ici, comme dans Love, un rôle à sa démesure.
Pour remarquer qu'il marque les débuts dans le cinéma, et en fanfare !, de Derek Jarman, qu'on retrouve ici à la déco, avant qu'il ne devienne le passionnant cinéaste esthète et underground que l'on connaît.
Et pour évoquer, plus encore que son chef opérateur David Watkin, son cadreur Ronnie Taylor. L'une des personnes que j'aurais voulu le plus au monde rencontrer pour qu'il me raconte ses tournages. Puisque avant de devenir chef opérateur pour Gandhi de Richard Attenborough, ou Opéra de Dario Argento, Ronnie Taylor fut le cadreur, entre autres !, des Innocents de Jack Clayton, du Lion et le Vent de John Milius, de Phantom of the Paradise de De Palma, de Barry Lyndon de Kubrick et de la Guerre des étoiles !

Cela s'appelle une vie bien remplie.

Merci infiniment à la Cinémathèque de m'offrir la possibilité de donner à revoir ce film, fulgurante météorite issue d'un temps du cinéma qui apparaît aujourd'hui comme fait de bruit, de lave et de fureur...
Bon film !

Nicolas Boukhrief