Quelques mois avant son adaptation de M, Joseph Losey livre sa première relecture du film noir, désormais en pleine déliquescence, avec un projet resté longuement méconnu, Le Rôdeur. Sous l'influence de Fritz Lang, il porte à l'écran un scénario retors de Dalton Trumbo, qui met en scène sa vision pessimiste d'une humanité étranglée par la frustration. D'enjeux complexes en désirs inassouvis, le cinéaste impose l'élégance de son style, où les desseins de ses personnages demeurent insaisissables. Entre cette croqueuse d'hommes piégée dans sa morne vie familiale (Evelyn Keyes, envoûtante) et ce policier insatisfait de sa carrière (Van Heflin, inquiétant), il n'est plus question d'ordre, ni de moralité. Telle une entaille faite au puritanisme, leur liaison témoigne d'un profond désenchantement et de l'angoisse du rêve américain à présent évaporé.