Afraid to Talk

dimanche 23 mai 2021, 16h45

Salle Henri Langlois

16h45 18h05 (76 min)

Edward L. Cahn
États-Unis / 1932 / 76 min / 35mm / VOSTF

Avec Eric Linden, Sidney Fox, Tully Marshall, Louis Calhern.

Des politiciens corrompus ont recours au meurtre et au chantage pour éliminer un jeune homme qui a assisté à une de leurs transactions malhonnêtes.

Je revois encore l'enthousiasme de Claire Denis que j'avais traînée à la Cinémathèque. À la fin de la projection, Jean Narboni, à côté de nous, parlait de « grand film brechtien ». Il faut dire que ce fut une très grande découverte, l'un des films mémorables que signa Cahn la même année (avec Law and Order et Radio Patrol, suivis par l'incroyable Laughter in Hell), bien avant de devenir, durant les années 50/60, ce fabricant de nanars parfois pittoresques adulé par Tarantino. Les raisons de sa chute restent obscures, passage à la MGM qui l'aseptisa, selon Philippe Garnier, ou échec de son film produit par la ligue anti-diffamation. Il faut certes créditer certains de ses collaborateurs, de W.R. Burnett à John Huston en passant, pour Afraid to Talk, par Albert Maltz, l'un des futurs Dix d'Hollywood. Sans oublier le très méconnu Tom Reed, reporter criminel engagé par Carl Laemmle Jr. pour apporter piment et réalisme aux scénarios, ou encore Niven Bush, homme brillant, très amusant et bourré d'imagination.

Mais les qualités de ces films sont aussi indéniablement le fait du metteur en scène. On retrouve dans chacun des idées visuelles identiques, la même âpreté réaliste, le même style oppressant. Les plans longs de Law and Order, les cadres étouffants d'Afraid to Talk portent la marque de Cahn : pièces sombres traversées par de brusques mouvements d'appareil, personnages éclairés juste par une lampe qui se balance, jeu avec les ombres durant un passage à tabac. La copie restaurée rend justice à la magnifique photographie de Karl Freund. L'action est menée au scalpel avec une description de la corruption incisive, dure, sans illusion. La fin, pourtant éloignée de l'impitoyable conclusion de la pièce de Maltz, dégage une amertume rare, même si plus ironique et suggérée, qui n'aura plus d'équivalent. Les personnages féminins, notamment la petite amie du gangster, évitent les stéréotypes. Un grand nombre d'acteurs deviendront, sinon des vedettes, du moins des seconds rôles célèbres : Louis Calhern (le cynisme de son personnage fait frissonner), Edward Arnold, J. Carrol Naish, Berton Churchill, Mayo Methot. Un chef-d'œuvre oublié.

Bertrand Tavernier