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Frankenheimer mourut à la fin du mixage du film, l'un de ses plus grands chefs-d'œuvre. Magnifique fin de carrière, digne de Huston, Wyler, Aldrich, ce coup d'éclat témoigne d'une telle énergie, d'une telle maîtrise, d'une telle lucidité, d'une telle fidélité aux engagements de sa jeunesse qu'on se dit qu'il portait encore en lui d'autres œuvres majeures, qu'il pouvait encore nous surprendre. Qu'il est mort trop tôt. Peu de films, ces dernières années, ont témoigné d'une telle ambition et d'une telle rigueur. Le scénario brillant, incisif, de Daniel Giat montre comment Lyndon Johnson (admirablement joué par Michael Gambon) se laisse peu à peu entraîner dans la guerre du Vietnam, renonce aux priorités qu'il s'était fixées (sur l'éducation, la pauvreté, la question raciale), délaisse certains de ses engagements. On a rarement aussi bien décrit la manière dont certaines décisions deviennent des actes irrévocables. C'est l'autopsie d'un engrenage tragique dont on nous démonte le côté impitoyable, le rôle effrayant tenu par le lobby militaire obsédé par l'anticommunisme. Et où triomphent l'ignorance, la méconnaissance du terrain, du monde asiatique (« ce serait bien que l'on recrute quelqu'un qui ait quelques connaissances sur le Vietnam », ironise l'un des conseillers qui rédige les discours du Président).
Giat et Frankenheimer ne se permettent aucune concession. Du début à la fin, le film ne parle que de politique. Aucune intrigue surajoutée. Et cette suite de discussions, d'affrontements, passionne comme le plus mouvementé des thrillers. Un thriller qui devient une vraie tragédie, d'une brûlante actualité. On songe constamment à Bush et au Moyen-Orient, à l'Irak, encore que, sudiste pour sudiste, Johnson soit un personnage tragique : il avait tout pour devenir un grand président mais ruine sa carrière dans cette guerre criminelle. Et les auteurs ne l'excusent pas quand il tente de se disculper en chargeant ses équipes : « Ils conseillaient. Vous décidiez. », lui lance Donald Sutherland.
Bertrand Tavernier