samedi 7 mars 2020, 22h00
Salle Henri Langlois
22h00 08h00 (600 min)
Ce qui, à l’origine constituait le postulat d’une nouvelle de science-fiction, (Graines d’épouvante de Jack Finney publié en 1955), soit l’invasion d’entités extraterrestres prenant forme humaine et « remplaçant » ainsi, à terme, l’humanité, individu par individu, est devenu plus qu’un thème cinématographique. C’est un motif, un principe abstrait et théorique qui allait dépasser les déterminations des genres. En 1955, sous la férule du producteur indépendant Walter Wanger, Don Siegel réalise ce qui s’appellera en français, à la suite d’une erreur de traduction, L’Invasion des profanateurs de sépultures. La peur et le malaise y sont principalement liés à la question de la déshumanisation qui devient une véritable interrogation esthétique et morale (qu’est-ce qu’une figure humaine dans un film ?). Le remake que signe Philip Kaufman en 1978 est représentatif d’un changement radical de la société et du spectateur. Les temps, devenus incrédules, exigent que le processus de transformation de l’homme en un double « différent » soit l’explication d’une logique psychologique particulière. Dans sa version, réalisée en 1992, Abel Ferrara, enfin, révèle, grâce à un dispositif très particulier situant le récit au cœur d’une base militaire, qu’il y a pire que le cauchemar du devenir-autre, il y a l’enfer du même. Ce thème de la transmutation de l’unique en son « autre » connaitra encore de nombreuses variations cinématographiques dont Invasion d’Oliver Hirschbiegel réalisé en 2007 constitue un exemple.
Jean-François Rauger
Philip Kaufman
États-Unis / 1978 / 115 min / DCP / VOSTF
D'après le roman L'Invasion des profanateurs de sépultures de Jack Finney.
Avec Donald Sutherland, Brooke Adams, Leonard Nimoy, Jeff Goldblum.
Fonctionnaires au service d'hygiène de San Francisco, Matthew et Elizabeth découvrent avec horreur que les habitants de la ville sont progressivement clonés par une espèce végétale venue de l'espace.
Don Siegel
États-Unis / 1956 / 80 min / DCP / VOSTF
D'après le roman L'Invasion des profanateurs de Jack Finney.
Avec Kevin McCarthy, Dana Wynter, King Donovan, Carolyn Jones.
Dans une petite ville de Californie, le médecin local constate un comportement étrange chez les habitants, qui paraissent soudain dénués d'émotions. Peu à peu, il comprend qu'une invasion extraterrestre est en cours.
Abel Ferrara
États-Unis / 1993 / 87 min / 35mm / VOSTF
Avec Terry Kinney, Meg Tilly, Gabrielle Anwar.
Une adolescente rejoint son père sur une base militaire et constate que des extraterrestres remplacent progressivement les humains après avoir pris leur apparence.
Oliver Hirschbiegel
Etats-Unis / 2005 / 98 min / 35mm / VOSTF
D'après le roman L'Invasion des profanateurs de Jack Finney.
Avec Nicole Kidman, Daniel Craig, Jeremy Northam.
Alors que le monde est en proie à une épidémie altérant le comportement humain, une psychiatre découvre que le fléau est d'origine extraterrestre, et que son propre fils pourrait être le seul individu capable d'empêcher cette invasion.
Variation autour du classique de Jack Finney, le film de Philip Kaufman délaisse le cadre rassurant de la petite ville de province et transpose le récit au cœur d’une métropole : un San Francisco triste, nimbé de gris, où la menace s’insinue dans l’intimité d’un couple bourgeois.
Chaque plan déploie une idée de mise en scène, joue sur les détails, les arrière-plans, les regards. Kaufman parvient à plonger le spectateur dans un état d’inquiétante étrangeté, tout comme ses protagonistes. De la photographie signée Michael Chapman (Taxi Driver), qui utilise des focales déformantes, ose des cadrages obliques et use de panoramiques vertigineux, à la partition musicale anxiogène de Denny Zeitlin, mêlée aux effets sonores de Ben Burtt (Star Wars), tous les moyens techniques sont déployés pour rendre palpable ce climat paranoïaque. Très réussis, les effets spéciaux s’attardent longuement et de façon hypnotique sur les végétaux et le clonage des humains durant leur sommeil. Les apparitions de Robert Duvall et de Don Siegel complètent un casting enthousiasmant, porté par deux impeccables duos d’acteurs (Donald Sutherland/Brooke Adams et Jeff Goldblum/Veronica Cartwright).
Si la version signée Don Siegel en 1956 peut être vue comme une métaphore de la menace communiste, Philip Kaufman dénonce ici une société consumériste et déshumanisée qui refuse l’altérité et vise à éliminer toute forme de résistance individuelle. Nul doute qu’il inspira le glaçant Little Joe de Jessica Hausner.
Caroline Maleville