En 1970, à Rome, eut lieu une rencontre entre Pierre Clémenti, Miklós Jancsó, Jean-Marie Straub, Glauber Rocha, Simon Hartog. Parmi les sujets évoqués, les vertus ou limites des pratiques démocratiques désormais rendues possibles par l’existence et la popularisation des des « petites caméras », dont Pierre Clémenti, inspiré par les diaristes visuels Etienne O’Leary, Andy Warhol, Jonas Mekas, est non seulement l’un des plus grands praticiens mais aussi farouches défenseurs. « Quand les gens voient un film, ils s’identifient aux stars, et sortent des salles imprégnés de cette influence. Lorsqu’ils commenceront à tourner avec leur propre caméra, à filmer leur propre famille, leur maison, leur travail, quelque chose alors se passera ; ils découvriront que ce n’est pas ainsi au cinéma. (…)Je pense que les caméras Super 8 ou 16mm leur permettent de réaliser tous les films qu’ils désirent et, ne serait-ce que pour cette raison, le cinéma underground est révolutionnaire. Le cinéma underground est positif en ce sens qu’il libère, qu’il déclenche quelque chose dans la conscience humaine. » (in Cinéma / Politique, Bruxelles, éd. Labor, 2005).
Longtemps endormies dans les réserves du Centre Pompidou, les bobines tournées par Pierre Clémenti avec sa Beaulieu furent réveillées en 2009 par Balthazar Clémenti qui en sélectionne trois après 22h de visionnage et les intitule en fonction des indications laissées par son père. Il les confie à trois cinéastes expérimentaux qui s’attelèrent à les restaurer en argentique : la 27, désormais intitulée « Souvenir souvenir… » ; la 30B01, « Positano » ; la « J », ou « Deuxième femme ».
Antoine Barraud, qui les connaît donc photogramme par photogramme, en décrit ainsi la plastique et les motifs : « Véritables dentelles d’images, délicates et fiévreuses comme un journal intime qu’on griffonne, qu’on déchire, qu’on réécrit avec passion à l’infini, ces films-bobines, ces pellicules-poèmes enfin retrouvées sont plus qu’un complément, une éclatante confirmation de l’ampleur de son œuvre intime. Famille, tournages, mise en scène d’un instant, tableaux vivants, folies de la nuit, fulgurance de l’amour, liberté des corps : ce sont des années de travail passionné qui irradient devant nos yeux. »
Nicole Brenez