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Comment renverser une statue ? Non pas la faire rouler à terre, mais en inverser le sens ? Dans le club de boxe thaïlandaise que dirigent Julian (Ryan Gosling) et son frère Billy à Bangkok pour cacher leurs activités de trafiquants de drogue, il y a une sculpture de métal représentant un combattant, poings tendus, qui vaut d'abord comme effigie de la violence dont chacun s'est rendu coupable. Un soir, Billy tue sans raison une prostituée mineure, et la fidélité familiale de Julian vacille : progressivement, la statue se mue en effigie de justice, au point qu'un vieux policier vengeur prendra la même pose qu'elle. Dans la mise en scène paradoxale de Nicolas Winding Refn, ce sont les êtres les moins expressifs et les plus impuissants qui peuvent changer le plus, d'un point de vue éthique. Le labyrinthe rouge à la David Lynch du club de boxe, les espaces déconnectés et primaux de la ville, les gestes hiératiques qui interviennent comme des visions oniriques ou des cérémonies funèbres, forment un écrin mystérieux dont la minutie formelle dissimule un ébranlement terrible. Julian peut-il renverser la mère monstrueuse (Kristin Scott Thomas) qui vient à Bangkok régler les affaires de ses fils, et se renverser lui-même ? Radicalisant le visage vide que Ryan Gosling lui avait offert pour Drive, Refn l'habite d'un malaise abyssal par les seules intensités des couleurs, la lenteur somnambulique des mouvements transpercée de pointes brutales, les modulations perlées de la musique électronique de Cliff Martinez. Transfigurant, au sens propre, son scénario de tragédie œdipienne, Only God Forgives compose ainsi un stupéfiant théâtre pulsionnel où le plus profond, c'est la surface.
Cyril Béghin