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Don Luis savait que ce serait son ultime mauvais coup, cinquante ans après Un chien andalou. Ça s'était mal passé et vite terminé avec Maria Schneider, dommage, mais il fallait sauver Silberman, pourquoi pas deux actrices pour le seul rôle de Conchita ? Un dernier pied-de-nez surréaliste, un truc que personne n'avait encore fait, la trouvaille d'un cinéaste de 76 ans. Bouquet/Molina, la très belle très froide et l'Espagnole, et le plaisir de diriger une dernière fois dans sa langue natale, avec un Fernando Rey qui en est à sa troisième déclinaison de Buñuel en pauvre vieux Don suborneur (après Viridiana et Tristana, les deux grands films espagnols, les meilleurs, fatalement) et qui a tout compris depuis très longtemps, nul besoin d'explications. D'autant que tout est très clair, littéral, il suffit de regarder : une dernière fois, il s'agit de tout dire de soi qui s'éteint et du monde qui court à sa perte, avec une pudeur infinie, sur des images plus plates et évidentes que jamais. L'air de Paris, les passages de Benjamin, ceux où déambulaient Breton et Aragon quand ils étaient frères, l'odeur de la poudre, l'hôtel Ronceray, sur les Boulevards, qui n'a pas bougé et où les parents étaient descendus lors de leur voyage de noces, dans les derniers jours du XIXe siècle, et où dormira leur fils, pour sa première nuit parisienne, en 1925. En bas, le passage Jouffroy, une vitrine, le linge blanc et la tâche rouge, l'hymen déchiré et l'œuvre à repriser, indéfiniment, avec beaucoup de brodeuses et de couturières dans presque tous les films et un œil tranché comme coup d'éclat initial. Somme toute, Luis Buñuel est un cinéaste assez cohérent ; « obsessionnel », prétendent certains.
Frédéric Bonnaud