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Ce jour de janvier 1992, Serge Daney, casquette vissée sur la tête, est assis à une table, face à la caméra sur pied, fixe. Près de la caméra, dans l’axe, hors champ, Régis Debray pose ses questions. Derrière lui, Pierre-André Boutang, producteur d’Océaniques, le magazine culturel de France 3. Debray l’a convaincu de la nécessité de filmer Daney, un des meilleurs critiques de cinéma de sa génération, celui qui, « à travers la comparaison cinéma/télévision, a réfléchi à une coupure de civilisation, à [son] sens capitale. » Daney a le sida, sait que dans quelques mois, il sera mort. Dans l’urgence, on tourne, une archive, donc en film, pellicule Kodak 16 mm négative, pour des raisons de conservation. Il est important que ces ultimes images de Serge Daney aient été en film. Chaque bobine fait à peu près 10 minutes utiles avec clap et amorce de chargement. Nagra pour le son. Arrêt chaque fin de bobine pour recharger, nouveau clap de début. Commencé dans l’après-midi, le tournage se terminera 6 heures, 20 bobines et un nombre incalculable de cigarettes plus tard.
Debray a vite compris que Daney sait où il va, le laisse parler. Daney a en face de lui un interlocuteur réputé, qui le considère comme un des grands « passeurs » de sa génération. Il va à l’essentiel, raconte sa vie avec le cinéma, prend le temps de tout expliquer, inlassablement, passionnément.
Je suis de la même génération de cinéphiles que Daney. On se connaît bien. Boutang me demande de réaliser quelque chose de diffusable. Je monte en vidéo, en beta SP ‒ pas encore numérique. Je choisis, je coupe. L’émission sera diffusée en trois parties de plus d’une heure, sous le titre Serge Daney – Itinéraire d’un ciné-fils. Et sera éditée en cassettes, puis en DVD.
Vingt-cinq ans plus tard, il m’a semblé qu’il fallait montrer ce plan unique ‒ à quelques recadrages près ‒ de près de quatre heures, ce flux de parole, toute une vie, dans sa continuité, sans la moindre coupe. Cette projection est dédiée, non sans haine, à tous ceux qui hurlent « je m’ennuie » quand un plan fait plus de quatre secondes, qui ont besoin de trois caméras pour filmer un regard, et ont fait de la télévision ce qu’elle est la plupart du temps aujourd’hui.
Dominique Rabourdin