« Chaque moment d'un maquillage de Lon Chaney, avec ses couches, sous-couches, ses matériaux étonnants et ses couleurs de conversion, s'apparente à une sculpture éphémère, une initiative plastique d'artisan sublime. » (Nicole Brenez)

L'Hercule du cirque aime Nanon, qui repousse ses avances, terrifiée par sa peur phobique des mains des hommes. Tandis que l'homme-tronc, lanceur de couteaux, qu'elle considère comme un frère, cache son amour pour elle, et de terribles secrets. Une fois le public parti, derrière le chapiteau, sous les toits des caravanes, se noue un drame d'amour et de mort. Partout règnent la dissimulation, les faux-semblants et une violence sourde prête à exploser. Farce macabre et cruelle, L'Inconnu est l'histoire d'un amour fou, d'une passion dévorante. Porté par un Lon Chaney – interprète fétiche de Tod Browning – au sommet de son art, le film tire toute sa puissance de sa prestation hallucinée. C'est en le regardant jouer que Joan Crawford (Nanon) aurait, d'après ses déclarations, eu une révélation sur ce qu'était réellement le travail d'acteur. La sortie de Our Dancing Daughters, l'année suivante, fera d'elle une star. Plus confidentiel peut-être que peuvent l'être Dracula(1931) ou Freaks (1932) dans la filmographie de Browning, L'Inconnu n'en est pas moins un des sommets de la carrière du cinéaste, la quintessence de ses thématiques, et sans doute le chef-d'œuvre de sa période muette. On aurait aimé « print the legend » à propos du destin du film, possiblement retrouvé dans les réserves de la Cinémathèque après avoir été perdu pendant des décennies. On se contentera de dire que sa restauration rendra enfin justice à ce joyau noir.

Olivier Gonord