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Un souvenir : au téléphone, l'enthousiasme de la productrice Fabienne Vonier, sa voix heureuse, réfléchie et déterminée m'annonçant le tournage du second film très attendu de Claire Denis, à Pondorly. Un endroit où personne ne s'arrête, terra incognita entre le marché de Rungis et l'aéroport d'Orly. Hors de tous les sentiers battus, un instinct de cinéma avait trouvé sa voie. Toujours aussi vaillant et emballant, trois décennies plus tard. Dans cet endroit qui n'en est pas un, deux personnages traversent des lieux qui n'en sont pas. Parkings, entrepôts, arrière-cuisine, salle de jeux qui tient du casino et de la foire agricole, pour combats de coqs révélateurs. Car seuls des instincts animaux semblent pouvoir survivre là, morsures du besoin d'argent, du désir, de la pulsion de mort, rêves en cage qui pourraient basculer dans la transe, la possession. Mais ce film un peu sorcier est aussi fait de paysages intérieurs, qu'on devine sur les visages d'Isaach de Bankolé et d'Alex Descas, princiers, comme sur celui de Jean-Claude Brialy, en vieux Blanc roublard et paternaliste. Ces hommes ont en eux les Antilles, l'Afrique, un ailleurs où la mélancolie les ramène... Après Chocolat (1988), Claire Denis commençait son beau voyage de cinéma. À Pondorly, moitié Eldorado et moitié enfer de banlieue, moitié melting pot et moitié désert existentiel, elle nouait un pacte avec la beauté des êtres solitaires et des destins en transit, dans un rapport à la caméra qui tient de la danse et du combat. À Pondorly, tout était là.
Frédéric Strauss