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Rushmore a déjà commencé depuis cinq bonnes minutes. C’est une entame honorable, de belle facture, mais rien ne déborde vraiment du traditionnel programme du film de campus. Puis déboule une courte séquence, deux minutes un peu folles, nouvelles. Deux minutes qui lancent le film, et le cinéma de Wes Anderson dans un même mouvement. Un lumineux enchaînement de plans comme un manifeste esthétique, que le cinéaste s’emploiera ensuite à développer, à polir, dans les films qui suivront. Avec des cadres au cordeau, à la symétrie millimétrée. Une direction artistique rétro-pastel quasi-maniaque. Une bande originale racée : The Kinks, The Faces, The Who… En quinze plans léchés et emballants, Anderson vient de poser les bases de son art.
Son précédent et premier film, Bottle Rocket, ne laissait rien présager de cette brusque éclosion. La comédie, sympathique, dévoilait un réel talent, mais plastiquement, le film ne tranchait pas. Rushmore tranche. Il ne ressemble à rien d’autre qu’à ce que deviendra ensuite la patte Anderson, assemblage hétéroclite d’esthétique publicitaire, de dispositifs théâtraux, de bricolages dandys et de références lettrées : Stefan Zweig, Jacques-Yves Cousteau, Jules Verne, Hal Ashby, Yves Montand…
S’il a parfois été reproché au cinéma de Wes Anderson son côté mignon, maison de poupées pop, ce qui étonne finalement devant Rushmore c’est combien ces procédés de mise en scène voyants n’étouffent jamais l’émotion : derrière les artifices sourd une mélancolie retenue, une petite note triste tenue tout le long du film et qui, le dernier plan venu, vous laisse sur le flanc. Bill Murray, équilibriste de génie, y est dans la même seconde hilarant et déchirant. Il porte ce petit film fragile sur ses épaules, et trouve ici le rôle - et le cinéaste -qui feront basculer sa carrière et l’introniseront roi sur l’échiquier du cool. Ce n’est pas le moindre attrait de Rushmore, mont séduisant d’une œuvre en devenir.
Xavier Jamet