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Les Proscrits a été aimé d'emblée : « J'ai vu acclamer un film scandinave par des spectateurs français » (Louis Delluc, 1919). Le voir presque cent ans après sa réalisation, c'est faire l'expérience d'une audace formelle intacte : lumière naturelle, nuit intensément noire, figures et espace, flashback et images mentales. C'est découvrir ce que pouvait un art qui n'en avait pas le nom, en l'occurrence célébrer la splendeur d'une nature qui, elle-même, prodigue tout – y compris un linceul quand la vie n'est plus permise à ceux qui s'aiment. Avec le recul, c'est éprouver surtout le film comme une promesse : celle de l'œuvre à venir de Sjöström sachant rendre visible l'invisible, à savoir le mouvement des âmes. Mais plus encore, il est une promesse pour le cinéma tout entier. Un seul exemple : quand Berg-Ejvind déclare son amour à Halla et qu'elle-même, à tout jamais transportée, le demande une seconde fois en mariage, quand tous deux se déclarent sur le champ mari et femme, dans quel film sommes-nous : Les Proscrits ou, déjà, dans Johnny Guitar, ce western lyrique tourné quelque quarante ans plus tard et sur un autre continent ? « Voir un film de Sjöström – dixit Henri Langlois, 1956 –, c'est monter vers un air de plus en plus pur. »
Bernard Benoliel