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« Dalí et moi, en travaillant sur le scénario, nous pratiquions une sorte d'écriture automatique, nous étions surréalistes sans l'étiquette. » (Luis Buñuel)
Une main d'homme aiguise un rasoir et vérifie son tranchant sur l'ongle du pouce. L'homme sort sur le balcon, regarde la pleine lune et trois nuages effilés. La même main écarquille l'œil d'une femme entre le pouce et l'index. La femme nous fixe avec un léger sourire. Un nuage passe devant la Lune ; en très gros plan, le rasoir coupe l'œil de la femme. Aujourd'hui encore, les spectateurs se détournent. Certains crient. Luis Buñuel a commencé comme ça. Le 6 juin 1929, Un chien andalou est présenté à Paris, au Studio des Ursulines. Examen de passage réussi : le jeune Espagnol rejoint le mouvement surréaliste. Son camarade Dalí aussi. L'année d'avant, Georges Bataille a publié Histoire de l'œil. C'était dans l'air. Une femme signifie à un homme qu'elle ne veut plus de lui, à coups de raquette de tennis s'il le faut, c'est fini et bien fini. La raquette est celle de Jeanne Rucar, future madame Buñuel, et c'est l'intrigue d'Un chien andalou. Pour L'Âge d'or, c'est l'inverse : on ne cesse de séparer un couple qui ne pense qu'à copuler partout et tout le temps. La pulsion est créatrice de désordre, il convient de la réprimer. Comme Stroheim, qu'il admirait, Buñuel force le trait et accuse la bizarrerie fondamentale du comportement en société. Lui aussi examine de près la règle du jeu et imagine comment celle-ci pourrait soudain se dérégler. Cela ne tient qu'à un fil. Officiellement interdit jusqu'en 1981, après l'énorme scandale de sa sortie en 1930 et son interdiction immédiate, mais diffusé par Langlois et les ciné-clubs, le film n'a vraiment été restauré qu'en 1993 par le Centre Pompidou. Il attendait depuis une nouvelle restauration numérique, elle aussi issue du négatif original.
Frédéric Bonnaud