La Salamandre

vendredi 30 janvier 2009, 21h45

Salle Georges Franju

21h45 23h50 (124 min)

Alain Tanner
Suisse / 1970 / 123 min

Avec Bulle Ogier, Jean-Luc Bideau, Jacques Denis.

Pierre et Paul, respectivement journaliste et écrivain, s'associent pour écrire un scénario d'après un fait divers : l'histoire d'une jeune fille accusée par son oncle d'avoir tenté de le tuer. Pour en savoir plus, ils tentent de la retrouver.

Il n'y a pas de hasards, il n'y a que des coïncidences. C'est donc par hasard qu'à l'aurore des années 1970, un jeune homme baguenaude dans la rue Saint André des Arts, à Paris. Devant le cinéma du même nom, une affiche capture sa curiosité. En noir et blanc, le visage songeur d'une jeune femme, et un titre encore plus mystérieux, La Salamandre. À l'époque, le jeune homme ne sait pas qui est Bulle Ogier et ignore encore plus le nom d'Alain Tanner. Cette innocence contribua beaucoup à la félicité d'une sorte de dépucelage cinématographique. Le jeune homme était vierge et un peu niais en entrant dans la salle, il ne l'était plus en sortant. Comme on sait que c'est toujours mieux la deuxième fois, le jeune homme ce jour-là assista coup sur coup à deux projections de La Salamandre.

Il n'est pas important que vous sachiez que ce jeune homme c'était moi, le roman existentiel n'étant pas ma passion. Par contre, il est important d'insister sur l'effet de jeunesse déclenché par La Salamandre, un effet qui perdure aujourd'hui.
-Jeunesse du réalisateur Alain Tanner, talent naissant du collectif suisse Groupe 5 (avec entre autres Claude Goretta et Michel Soutter) inspiré par la Nouvelle Vague française et par le Free Cinema anglais, celui de Karel Reisz et Tony Richardson. Après Charles ou mort ou vif en1969, Tanner signe avec La Salamandre son deuxième long métrage. Une vingtaine d'autres suivront, jusqu'à sa mort en septembre dernier.
-Jeunesse des principaux protagonistes, les acteurs Jean-Luc Bideau et Jacques Denis, respectivement Pierre, journaliste, et Paul, romancier. Et puis surtout, par-dessus tout, Bulle Ogier qui dit dans le film que son personnage prénommé Rosemonde a 23 ans, avant d'ajouter mélancolique qu'elle se sent déjà vieille. Quoi qu'elle en dise, jeunesse infrangible de Bulle Ogier, dans sa façon adolescente de jouer, aussi bien quand elle se rince la tête en écoutant un air de hard rock, que lorsqu'elle entrouvre les lèvres, inquiète et hésitante au moment d'articuler sa révolution.
-Jeunesse de l'image, en noir et blanc, une merveille graphique qui frôle l'abstraction dans ses quelques ralentis dont celui de la fin, un miracle de cinéma conçu par le grand, le très grand chef opérateur Renato Berta.
-Enfin et surtout, jeunesse du propos d'une actualité perpétuelle : comment se dépoisser du capitalisme dont il est dit texto « qu'avant de crever, il n'a pas fini de nous faire chier ».

C'est le moins qu'on puisse dire, hier au temps de La Salamandre, comme aujourd'hui. Je le dis de façon un peu solennelle alors que tout le film invite à la résistance, individuelle autant que collective, avec une grâce désinvolte et un humour existentiel permanent. Oui, La Salamandre, quelle que soit sa gravité de fond, est aussi une comédie de surface, le rire et même le fou rire en forme d'autodérision s'y révélant comme une arme redoutable. Je vous recommande à cet égard les quelques scènes dans le magasin de chaussures où Rosemonde est employée. « Godasses ! Godasses ! Godasses ! », dit-elle, et vous m'en direz des nouvelles ! Tout aussi mémorable, les amis Paul et Pierre errant un peu paumés dans un sous-bois enneigé où ils hurlent en chantant : « Le bonheur est proche, le bonheur est lointain ! » !

Identifier ses ennemis et pourquoi ils le sont, rire et s'inquiéter de ce rire, pour Tanner c'est la meilleure façon de ressentir le monde, c'est-à-dire la politique. Maintenant à vous de jouer. Je vous laisse randonner avec La Salamandre, joli reptile passe-partout qui ne craint pas le feu, et je suis certain que l'ayant rencontré, à la fin du film vous vous sentirez moins seul.

Gérard Lefort