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C'est un portait, mais du genre nocturne. Celui d'un cinéaste réputé insomniaque. Mais à quoi ressemblent les insomniaques une fois propulsés au grand jour ? À des vampires, errant dans un champ de ruines. Jean-Pierre Melville, en 1971, montre à Labarthe ce qu'il reste de son studio de la rue Jenner, détruit en juin 1967 par un incendie lors du tournage du Samouraï. Il marche dans les cendres d'un certain cinéma. Il a l'allure spectrale d'un homme sur le départ. Son rêve s'est cassé la figure, il en reste encore affecté. Ce que l'on voit dans le documentaire de Labarthe est similaire à ce qu'on y entend : un homme qui essaye, de façon parfois sentencieuse, de se mettre à distance de toute proximité immédiate. Un homme qui a réussi toute sa vie à tenir une position d'équilibriste : celle d'un cinéaste français transposant sur Pigalle ses fantasmes de film noir américain, mais inventant au passage un monde, une mythologie, un ordre autre, le sublimant, jusqu'à en saisir la mélancolie esthétique. Ses braqueurs français sont chez lui tout sauf naturalistes. Ils portent une dette fantasmatique à l'original, au premier moule (le monde du crime américain), mais en chemin ils ont fabriqué leur propre tragédie, leurs propres figures silencieuses et terrorisantes : Bob le Flambeur, Le Doulos, Le Samouraï. Mais avec le temps, cet isolement propre à Melville passe de plus en plus pour une position anachronique : géographiquement flou, adoubé puis rejeté par la Nouvelle Vague, Melville 71 reste encore et toujours insituable, insitué. Alors, pour Labarthe, il joue avec ses propres poses, rit de son armure. À la fin, il porte un loup noir qui le fait ressembler à Fantômas : Melville échappe encore. Faux-fuyant.
Philippe Azoury