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Steamboat Bill, Jr. est le dernier grand feu d'artifice du génial Buster Keaton, réalisé librement avant la « plus grande erreur de [sa] vie », selon ses dires : son entrée à la MGM, où il perdra toute indépendance et qui provoquera sa chute – divorce, alcoolisme, ruine, films produits à la va-vite... Ici, l'idiome burlesque keatonien triomphe : il est aux prises avec les éléments (un cyclone sur le Mississippi), la machine (des bateaux ivres), les barrières sociales, la conquête obstinée de l'amour. Les rapports (autobiographiques) sont tendus entre le père et son freluquet de fils. Le film joue beaucoup sur les apparences physiques : jamais Keaton n'a semblé aussi frêle et minuscule (et pourtant tellement solide !). Le regard magnifique de son visage émacié, rimbaldien, semble diffuser ses dernières ondes. La scène la plus incroyable, célébrissime, est celle où il reçoit la façade d'une maison sur la tête – il en réchappe par l'ouverture d'une fenêtre. Toujours flegmatique, Keaton frôle la mort en traversant debout cette structure de deux tonnes qui passe à 8 cm de lui. Le corps de Keaton, mystérieusement incassable semble-t-il, est constamment mis à l'épreuve dans l'eau, sous la pluie, entre deux bateaux, dans la boue, le vent. Il lutte contre d'énormes bourrasques (des moteurs d'avion ont été installés), homme aux semelles de vent arc-bouté, marchant quasiment à l'horizontale, essayant de remonter l'air comme un saumon dans la rivière ! Tout le film n'est que folie, grâce et poésie.
Laurent Mannoni