Le Mystificateur

Le Mystificateur Shattered Glass

Billy Ray
États-Unis / 2002 / 95 min

Avec Hayden Christensen, Peter Sarsgaard, Chloë Sevigny.

L'histoire vraie d'un journaliste-reporter américain de 25 ans, qui défraya la chronique lorsque l'on découvrit que 27 articles, sur les 41 qu'il avait écrits, étaient basés sur des faits qui n'avaient pas eu lieu.

Le Mystificateur prend à contrepied la plupart des codes qui régissent les films sur le journalisme, qu'ils exaltent ses vertus démocratiques (Bas les masques, Les Hommes du Président) ou qu'ils dénoncent les dérives de la presse de caniveau (Le Gouffre aux chimères). Billy Ray préfère plonger au cœur de l'institution, montrer comment elle peut s'égarer dans un climat d'inconscience et d'impunité. Il s'inspire du scandale de The New Republic en 1998 qui secoua toute la presse américaine, lorsqu'on découvrit que l'un des jeunes prodiges de la rédaction, Stephen Glass, avait totalement bidonné 27 reportages sur 41.

En s'attaquant à peine cinq ans après à un tel sujet, Billy Ray, qui passe pour la première fois derrière la caméra, fait preuve d'une grande ambition. Il réussit l'un des meilleurs films sur le journalisme, l'un des plus intelligents, et des mieux joués. L'angle choisi lui permet d'éviter les thèmes ressassés par le cinéma (presse soumise au pouvoir, corruption, engagement démocratique ou réactionnaire) pour s'attacher à l'éthique, au fondement du travail journalistique : fiabilité des sources, qualité du travail d'investigation. Le choix d'Hayden Christensen pour interpréter Glass se révèle très judicieux. Quand sa candeur naïve et onctueuse, son humilité feinte, la sympathie qu'il dégage, qui dérangent au début mais expliquent son succès, commencent à se fissurer, un vrai sentiment tragique s'installe. Son personnage devient à la fois gluant et vulnérable, notamment dans toutes les séquences, remarquables, qui l'opposent au rédacteur qui le démasque, formidable et subtil Peter Sarsgaard. Toute l'interprétation est d'ailleurs de premier ordre, avec de nombreux contre-emplois : Chloë Sevigny, parfaite rédactrice, Rosario Dawson à qui on ne demande pas d'exhiber sa sexualité. Le film capte ce climat de mensonges qui imprégne la politique américaine de l'époque. Ray a su créer, avec toute une série de scènes de bureaux, une tension dramatique plus forte que dans beaucoup de thrillers, de films d'action contemporains. Après la sortie du film, plusieurs scandales similaires ébranlèrent certains quotidiens, notamment le New York Times, donnant raison à Ray – qui signe le scénario du remarquable Richard Jewell de Clint Eastwood, où se retrouvent les mêmes préoccupations.

Bertrand Tavernier