L'Orphelin d'Anyang Anyang de Guer
Wang Chao
Chine / 2000 / 84 min
Avec Zhu Jie, Sun Guilin, Yue Senyi.
Une usine ferme dans le Henan, licenciant des centaines d'ouvriers. L'un d'eux se retrouve à faire du baby-sitting pour une prostituée, et se fait un peu d'argent en plus en réparant des bicyclettes en bas de l'appartement où elle reçoit ses clients.
Générique
Réalisateur :
Wang Chao
Scénariste :
Chao Wang
Société de production :
Les Films du Paradoxe
Producteurs :
Chao Wang, Fang Li
Producteur associé :
Yu Wang
Distributeur d'origine :
Les Films du Paradoxe
Directeur de la photographie :
Xi Zhang
Ingénieur du son :
Yu Wang
Directeur artistique :
Gang Li
Monteur :
Chao Wang
Interprètes :
Jie Zhue, Guilin Sun, Sen Yi Yue
Montré à la Quinzaine des Réalisateurs, L’Orphelin d’Anyang fut une des « révélations chinoises » de l’année 2000. Ancien ouvrier, ancien assistant de Chen Kaige, Wang Chao passa à la réalisation avec l’adaptation du roman du même titre qu’il avait écrit quelques années auparavant (et qui fut éventuellement publié en France aux Éditions Bleu de Chine en 2001). C’est une peinture sombre, sans compromis, du malaise social et sexuel traversé par le pays. Les premiers plans du film, complètement silencieux, nous montrent le protagoniste, Yu Dagang (Sun Guilin), un quadragénaire solitaire et taciturne, errer à travers des sites industriels désolés. Son usine vient de licencier des centaines d’ouvriers, et il n’a pas assez d’argent pour s’acheter un bol de nouilles dans la rue. Il part échanger les tickets restaurants, maintenant inutiles, que l’usine lui avait donnés, contre un peu de liquide, et quand il revient à l’étal du vendeur, il réalise que quelqu’un a laissé un bébé là, avec un mot promettant un petit salaire mensuel à quiconque acceptera de s’occuper de lui.
La mère, Feng Yanli (Zhu Jie) est une prostituée originaire de Mandchourie et, après une dispute avec Side (Yue Sen Yi), le gangster qui la « protège » et est peut-être le père de l’enfant, elle noue une relation insolite avec Dagang. Ce dernier ouvre un stand de réparation de bicyclette en bas de chez lui ; le jour, il prête son appartement à Yanli pour qu’elle puisse y recevoir ses clients, et la nuit ils dorment dans le même lit, le bébé allongé au milieu. Wang Chao nous offre un beau moment de mise en scène – silencieux bien que percutant, d’un humour contenu : Dagang, un couteau à la main, s’avance d’un pas vengeur en direction de l’immeuble où Yanli est au travail. Éruption de rage jalouse ? Non, c’est pour crever le pneu de bicyclette du client, afin de se faire un peu d’argent quand ce dernier devra le faire réparer. Mais les sentiments de Dagang sont peut-être plus complexes. Humilié par Side qui, apprenant qu’il a le cancer, veut réclamer « sa femme » et « son héritier, Dagang explose… Aussi Wang Chao nous offre-t-il, a posteriori, une seconde lecture possible de l’épisode du pneu de bicyclette – qui engendre le rire mais dans lequel on peut reconnaître, outre le talent désespéré des laissés-pour-compte pour assurer leur survie, un déplacement quasi-freudien de la colère de Danang.
Travaillant principalement avec des non-professionnels (mise à part Zhu Jie, qui joue la prostituée) et dans des décors réels, Wang Chao est un maître des espaces vides, des moments d’attente, d’un jeu retenu qui transforme les visages des modèles (au sens bressonien du terme) en toile vierge. Mais cette esthétique du vide, de l’anti-spectacle, de la pure surface, suggère, a contrario, une violence réelle, désespérée, irrationnelle. La violence des hommes et des femmes coincés dans des vies sans avenir ; la violence des femmes qui n’ont d’autre solution que de vendre leurs corps ; et la violence des hommes qui n’ont pas les moyens de s’offrir les femmes qui vendent leurs corps.
Bérénice Reynaud
Né en 1964 à Nankin dans une famille d’ouvriers, Wang Chao travaille pendant plusieurs années dans une usine sidérurgique, tout en se passionnant pour le cinéma et la littérature et en écrivant ses premiers poèmes. Après avoir perdu son travail, il rentre à l’Institut de cinéma de Pékin en 1991 et se met à écrire des critiques de film, ce qui attire l’attention de Chen Kaige. Il travaille comme assistant sur Adieu ma concubine (1993) et L’Empereur et l’assassin (1998). Parallèlement, il écrit plusieurs romans, dont L’Orphelin d’Anyang. Passant à la réalisation en 2000, il entreprend une trilogie sur les transformations de la Chine contemporaine : L’Orphelin d’Anyang (2000), Nuit et jour (2004) et Voiture de luxe (2006). Par la suite il réalise Memory of Love (2009), Celestial Kingdom (2011), Fantasia (2014) et À la recherche de Rohmer (2015).