
John Cassavetes (Hollywood 1965, Paris 1968)
Avec John Cassavetes.
Deux rencontres improvisées avec John Cassavetes à Hollywood en 1965, alors qu'il va devenir le chef de file du jeune cinéma indépendant américain, et à Paris en 1968, pour la sortie de Faces.
Numérisation et restauration par l'INA en 2K à partir des éléments originaux inversibles 16 mm couleur, et d'un son magnétique séparé.
Cela s'appelle l'instinct : en 1965, André S. Labarthe et Hubert Knapp sont à Los Angeles pour filmer les derniers survivants du cinéma classique. En aparté, ASL décide de parier sur un jeune acteur qui, en tant que cinéaste, a déjà une merveille à son actif : Shadows, suivie de deux incursions dans le cinéma plus traditionnel, Too Late Blues et A Child Is Waiting qui lui laissent l'arrière-goût amer d'avoir obéi à un monde qui n'est pas le sien. Son nouveau film, Faces, sera un nouveau départ. Fait en totale indépendance, en bande, dans une anarchie technique invraisemblable : le son n'a pas été enregistré à la même vitesse que l'image, l'équipe est composée d'amis, quasiment tous amateurs, mais ce n'est pas une lenteur technique qui va arrêter ce garçon qui carbure à l'envie. Cassavetes, splendide en polo noir, conduisant sa décapotable d'une main, renverse tout sur son passage : son désir de cinéma se raconte à la vitesse d'une mitraillette. Combien de vocations de cinéaste sont nées de ces images de ce cinéaste nommé désir ? 1968, trois ans ont passé, Cassavetes est à Paris et on est toujours sans nouvelles de Faces. L'homme a pris dix ans dans la gueule, son corps porte une fatigue, sinon une mélancolie. En trois ans, les problèmes se sont amassés, il déclare : « Je ne me considère pas comme un cinéaste, sinon comme le pire qui soit. Mais je m'intéresse à mes semblables. » Et plus il parle, plus il s'anime. À la fin, c'est de nouveau une dynamo. Et si on retournait l'axe du récit ? En 1965, un Français s'en va voir à Hollywood si la Nouvelle Vague n'y serait pas cachée, elle qui en France peine à trouver une porte de sortie. En 1968, c'est l'Américain qui s'en va en France pour retrouver espoir auprès de Labarthe. Beau chassé-croisé. En 2023, nous savons : Faces était un chef-d'œuvre, et les révolutions sont des coups portés en continu contre un mur qui se croyait porteur mais ne soutenait que son propre académisme.
Philippe Azoury