Le décor du Korova Milkbar ouvre le film avec un long couloir rectiligne structuré, de chaque côté, par des statues de femmes nues à genoux et se faisant face. Symétrie aussi dans la construction narrative : "Le scénario est un modèle d'équilibre – trois parties de quarante-cinq minutes chacune, le volet central du triptyque (la prison, la cure) séparant deux itinéraires qui se répondent terme à terme quoique avec un ordre différent (...)" (1). À l'intérieur de ces deux itinéraires, les deux intrusions chez M. Alexander fonctionnent en miroir l'une de l'autre.
La première séquence débute par un plan d'Alexander assis à son bureau, tapant à la machine à écrire. On sonne à la porte. La caméra effectue un travelling vers la droite et cadre Mme Alexander. Elle longe un couloir dont les murs sont recouverts de grands miroirs à l'effet démultiplicateur. Le sol en damier – motif récurrent dans les films de Kubrick – accentue la symétrie générale du plan.
La seconde séquence, plus tard dans le film, paraît un écho visuel de la première : même cadrage sur Alexander qui écrit à la machine, même réplique et même travelling vers la droite lorsqu'on frappe à la porte. Cette fois, la caméra se dirige vers un homme qui soulève des haltères. Lui aussi s'engage dans le couloir aux miroirs. Toutefois, lorsqu'il ouvre la porte, ce n'est pas un Alex agressif qui entre mais un Alex agressé : le jeune homme, battu dans la séquence précédente par ses Droogs devenus policiers, s'écroule, sanguinolent, dans l'entrée.
Ironie du destin sous forme d'une répétition inversée dans un espace faussement ouvert et transparent se refermant en fait sur Alex comme un piège. D'une séquence à l'autre, le chat est devenu la souris.
(1) Michel Ciment, Stanley Kubrick, (Paris, Calmann-Lévy, 1991), p. 97.