William Wyler ou une définition possible du cinéma hollywoodien classique, y compris dans sa démesure (Ben-Hur). Après des débuts au temps du muet, il se fait remarquer pour ses subtils portraits de femmes (La Vipère, L'Insoumise, L'Héritière) et le style de sa mise en scène. Il signe encore l'une des œuvres les plus importantes de l'immédiat après-guerre (Les Plus belles années de notre vie) et, à la fin de sa carrière, expérimente encore (L'Obsédé, 1965).
Des cadres et des corps
Le statut de William Wyler dans la cinéphilie française souffre de plusieurs préjugés. Sa filmographie tardive lui a valu l'étiquette tantôt de cinéaste académique à « grands sujets », tantôt de maître d'œuvre finalement anonyme de superproductions spectaculaires. Et ses films les plus durablement populaires (L'Insoumise, Vacances romaines, Ben-Hur) ne sont pas ses plus personnels. Mais paradoxalement, il pâtit aussi d'avoir incarné une cause célèbre de la critique bazinienne d'après-guerre, emblème d'un débat sur l'ontologie du cinéma qui excédait la singularité de ses films. Mal compris, le slogan provocateur de Roger Leenhardt, « À bas Ford ! Vive Wyler ! »1, a rétrospectivement desservi le second, voué au purgatoire à mesure de la canonisation du premier. Wyler a pourtant joui très tôt à Hollywood d'un prestige d'auteur et d'une relative liberté – dans sa longue association avec l'indépendant Samuel Goldwyn comme dans d'autres studios où il était généralement producteur exécutif de ses films. Artisan revendiqué, il n'en laisse pas moins une œuvre dont les sommets attestent une absolue cohérence stylistique, qui fait de lui bien plus que le cheval de bataille d'un moment, historiquement circonscrit, de la pensée du cinéma. Et hormis leur postulat de transparence, les analyses nuancées d'André Bazin sur sa « théâtralité cinématographique », mise en scène de l'acteur et de la parole, non seulement n'ont rien perdu de leur acuité, mais s'appliquent parfaitement à un corpus plus large et plus complexe2.
Enfermements
Il s'agit en effet par excellence d'un cinéma du huis clos. Maître acharné de la composition des plans, peintre d'intérieurs avant tout, Wyler ne cesse de disposer des corps dans un champ à trois dimensions, en autant de tableaux vivants qui donnent constamment à déchiffrer des rapports de force : affrontements de classe, conflits de valeurs, aléas du désir. Ce parti pris ostensible, exacerbant la profondeur de champ, échappe au statisme comme à tout systématisme, car le découpage renverse constamment la valeur signifiante des plongées et contre-plongées, ou de la distance d'un corps à la caméra, selon un principe d'instabilité parallèle à celle des antagonismes. Dans la célèbre scène paroxystique de La Vipère (la crise cardiaque de Horace Giddens), il va jusqu'à remettre en cause l'usage même de la profondeur de champ, avec une rare puissance expressive. Et la lisibilité de cette dramaturgie n'exclut pas ce que Bazin appelait « l'ambiguïté du réel », mais surtout l'ambivalence des affects et des motivations : désirs contradictoires de Sam Dodsworth (Dodsworth), de Cathy dans Les Hauts de Hurlevent, opacité de Morris dans L'Héritière.
Dans des lieux clos, des corps se heurtent, se mesurent, cherchent leur place (fût-ce sur le mode gracieux de La Bonne fée). Il n'est finalement question que de cela : des corps qui occupent ou investissent un espace, se le disputent ou cherchent au contraire à s'en échapper – en vain, le plus souvent, tant prévaut le carcan des convenances, de l'aliénation ou de l'imposture, et d'un ordre social (voire conjugal) oppressant, décrit avec une cruelle lucidité. Que les personnages s'identifient à un lieu (Le Grand avocat rivé à son cabinet), cherchent à se l'approprier ou à le fuir (La Vipère), à le peupler (L'Héritière), ou oscillent entre appartenance et affranchissement (Dodsworth), tous sont soumis à une logique centripète. Les Hauts de Hurlevent repose sur le va-et-vient entre deux demeures, et la lande elle-même s'y réduit à un refuge fantasmatique et fantomatique. Dans le sublime Un amour désespéré, la fuite des amants, grevée de l'enfermement dans le mensonge, les voue à des espaces toujours plus confinés. Toute sortie hors de La Maison des otages y ramène inexorablement, comme plus tard dans L'Obsédé, flamboyant météore. Et si Wyler a débuté par des westerns muets, ses incursions parlantes dans le genre prolongent, même en décors naturels, cette obsession du huis clos, théâtre d'un débat moral : le désert sans repères de Hell's Heroes figure une forme borgésienne de labyrinthe, les grands espaces du film éponyme (lui-même architecturé autour de plusieurs maisons) n'existent que comme lieu d'un vain affrontement entre des corps qui, privés d'échelle, ne sauraient imposer une supériorité.
Effraction
Le monde extérieur a pourtant investi ce cinéma sous sa forme la plus traumatique : l'irruption de la guerre. Encore tourné en studio, Madame Miniver figurait déjà, dans une scène bouleversante, cette déchirure de la fiction par le réel. Puis, activement engagé dans l'effort de guerre, Wyler s'est rendu en personne, comme Ford et surtout Stevens, sur le théâtre des opérations. Ses deux documentaires en couleurs dépassent didactisme et propagande pour se poser, là encore, des questions éthiques de distance, d'accommodation du regard et d'inscription des corps : aviateurs américains cherchant un havre en Angleterre ou en Corse, bombardier comme abri et comme cercueil volant, vues aériennes des cibles où la carte devient territoire concret. Dans un geste fulgurant, Thunderbolt alterne cette visée surplombante et la vision frontale, à hauteur d'homme, des civils italiens défaits. C'est fort de cette expérience que Wyler réalise ce qui reste son chef-d'œuvre, Les Plus belles années de notre vie, sommet de fiction adulte et témoignage à chaud sur l'immédiat après-guerre et ses désillusions. Avec une rare prescience, il met déjà au jour les prémices de la guerre froide et la persistance des injustices sociales. Mais là aussi, tout est affaire de corps : celui, terriblement réel, de Harold Russell, authentique mutilé de guerre aux mains remplacées par des crochets ; mais aussi ceux de tous les vétérans soudain encombrants et empruntés, qui ne retrouvent plus leur place ni dans une Amérique méconnaissable, ni dans le monde du travail, ni surtout dans leur maison et dans leur couple. Avec un sens génial de l'espace et de la durée, Wyler chronique leur longue réadaptation au monde, et transcende, en l'appliquant à la réalité immédiate, son motif de toujours : des corps en quête de cadre, à leur juste mesure.
Serge Chauvin
1 Dans L'Écran français du 13 avril 1948, repris dans Chroniques du cinéma, Cahiers du cinéma, 1986.
2 « William Wyler ou le janséniste de la mise en scène », La Revue du cinéma, février 1948.
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Dans les salles
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Du 25 avril au 28 mai 2018
Les films
- Ben-Hur William Wyler / Etats-Unis / 1959 Di 6 mai 14h30 Sa 26 mai 19h15
- Blazing Days William Wyler / Etats-Unis / 1927 Sa 12 mai 15h00 Lu 14 mai 15h00
- Bonne fée (La) William Wyler / Etats-Unis / 1935 Je 3 mai 17h15 Ve 25 mai 16h30
- Cadets américains William Wyler / Etats-Unis / 1932 Lu 7 mai 17h00 Me 16 mai 19h00
- Cavalier du désert (Le) William Wyler / Etats-Unis / 1940 Ve 4 mai 17h30 Di 27 mai 17h00
- Comment voler un million de dollars William Wyler / Etats-Unis / 1965 Di 6 mai 19h00 Je 24 mai 21h15
- Dodsworth William Wyler / Etats-Unis / 1936 Me 25 avr 20h00 Je 17 mai 15h00
- École du courage (L') William Wyler / Etats-Unis / 1928 Me 9 mai 19h00 Ve 18 mai 15h00
- Far West William Wyler / Etats-Unis / 1929 Lu 7 mai 19h30 Lu 28 mai 22h00
- Fire Barrier (The) William Wyler / Etats-Unis / 1926 CM Lu 7 mai 15h00 Lu 14 mai 17h00
- Funny Girl William Wyler / Etats-Unis / 1967 Ve 11 mai 19h00 Di 20 mai 19h00
- Gai mensonge (Le) William Wyler / Etats-Unis / 1935 Sa 12 mai 21h45 Lu 21 mai 15h00
- Grand avocat (Le) William Wyler / Etats-Unis / 1933 Ve 11 mai 17h00 Di 13 mai 16h00
- Grands espaces (Les) William Wyler / Etats-Unis / 1957 Je 10 mai 20h15 Lu 21 mai 16h30
- Hauts de Hurlevent (Les) William Wyler / Etats-Unis / 1938 Sa 28 avr 17h30 Ve 18 mai 16h45
- Héritière (L') William Wyler / Etats-Unis / 1948 Sa 5 mai 18h45 Sa 19 mai 19h00
- Histoire de détective William Wyler / Etats-Unis / 1951 Sa 12 mai 17h00 Sa 19 mai 21h30
- Ils étaient trois William Wyler / Etats-Unis / 1935 Ve 11 mai 15h00 Me 23 mai 21h00
- Insoumise (L') William Wyler / Etats-Unis / 1937 Di 29 avr 21h00 Je 17 mai 19h00
- Lettre (La) William Wyler / Etats-Unis / 1940 Je 26 avr 19h00 Ve 11 mai 22h00
- Loi du seigneur (La) William Wyler / Etats-Unis / 1955 Je 3 mai 14h30 Je 24 mai 14h30
- Madame Miniver William Wyler / Etats-Unis / 1941 Lu 30 avr 14h00 Lu 14 mai 21h30
- Maison des otages (La) William Wyler / Etats-Unis / 1955 Di 6 mai 21h30 Di 20 mai 16h30
- Memphis Belle (The) William Wyler / Etats-Unis / 1944 CM Di 29 avr 19h00 Lu 28 mai 17h45
- Obsédé (L') William Wyler / Grande-Bretagne-Etats-Unis / 1964 Sa 12 mai 19h15 Di 27 mai 19h15
- On n'achète pas le silence William Wyler / Etats-Unis / 1970 Ve 27 avr 16h45 Je 24 mai 19h00
- Orages William Wyler / Etats-Unis / 1932 Je 10 mai 16h45 Me 16 mai 21h00
- Piège d'amour (Le) William Wyler / Etats-Unis / 1929 Lu 30 avr 17h00 Me 9 mai 21h00
- Plus belles années de notre vie (Les) William Wyler / Etats-Unis / 1946 Sa 28 avr 19h45 Di 13 mai 18h00
- Rue sans issue William Wyler / Etats-Unis / 1937 Ve 18 mai 19h00 Ve 25 mai 15h00
- Rumeur (La) William Wyler / Etats-Unis / 1961 Sa 5 mai 21h15 Me 23 mai 16h45
- Shooting Straight William Wyler / Etats-Unis / 1927 Sa 12 mai 15h00 Lu 14 mai 15h00
- Stolen Ranch (The) William Wyler / Etats-Unis / 1926 Lu 7 mai 15h00 Lu 14 mai 17h00
- Thunder Riders William Wyler / Etats-Unis / 1928 Sa 12 mai 15h00 Lu 14 mai 15h00
- Thunderbolt William Wyler, John Sturges / Etats-Unis / 1944 CM Di 29 avr 19h00 Lu 28 mai 17h45
- Tourmente (La) William Wyler / Etats-Unis / 1930 Lu 30 avr 19h00 Di 13 mai 21h30
- Un amour désespéré William Wyler / Etats-Unis / 1950 Je 3 mai 21h30 Ve 18 mai 21h00
- Un fameux marin William Wyler / Etats-Unis / 1933 Je 10 mai 18h30 Me 23 mai 19h00
- Vacances romaines William Wyler / Etats-Unis / 1952 Je 10 mai 14h15 Di 27 mai 21h45
- Vandale (Le) Howard Hawks, William Wyler, Richard Rosson / Etats-Unis / 1936 Sa 19 mai 16h45 Sa 26 mai 17h00
- Vipère (La) William Wyler / Etats-Unis / 1941 Je 26 avr 21h00 Je 17 mai 21h15
Autour de William Wyler
- Directed By William Wyler Aviva Slesin / Etats-Unis / 1986 Sa 5 mai 17h00
Rencontres et conférences

- On n'achète pas le silence William Wyler
- Madame Miniver William Wyler

- Le Piège d'amour William Wyler
- La Tourmente William Wyler
- La Loi du seigneur William Wyler

- La Bonne fée William Wyler
- Qui êtes-vous William Wyler ? Conférence de Serge Chauvin
- Un amour désespéré William Wyler

- Le Cavalier du désert William Wyler
- The Fire Barrier William Wyler CM
- The Stolen Ranch William Wyler

- Cadets américains William Wyler
- Far West William Wyler

- Vacances romaines William Wyler
- Orages William Wyler
- Un fameux marin William Wyler
- Les Grands espaces William Wyler

- Ils étaient trois William Wyler
- Le Grand avocat William Wyler
- Funny Girl William Wyler
- La Lettre William Wyler

- Shooting Straight William Wyler
- Blazing Days William Wyler
- Thunder Riders William Wyler
- The Fire Barrier William Wyler CM
- The Stolen Ranch William Wyler
- Madame Miniver William Wyler
- Cadets américains William Wyler

- Orages William Wyler
- Dodsworth William Wyler

- L'Insoumise William Wyler
- La Vipère William Wyler
- L'École du courage William Wyler

- Les Hauts de Hurlevent William Wyler
- Rue sans issue William Wyler
- Un amour désespéré William Wyler

- La Rumeur William Wyler
- Un fameux marin William Wyler
- Ils étaient trois William Wyler
- La Loi du seigneur William Wyler

- On n'achète pas le silence William Wyler
- Comment voler un million de dollars William Wyler
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