William Castle
Du 19 juin au 2 août 2009
Le démiurge ironique
Producteur-réalisateur de films à petit budget, William Castle signa dans les années quarante et cinquante de nombreuses séries B, avant de se spécialiser dans le cinéma d'épouvante. Pour les uns, William Castle est « un naïf qui se prend pour Hitchcock et un habile homme d'affaires qui sait rendre lucrative ses illusions de grandeur. » En revanche, dans son Dictionnaire du cinéma, Jacques Lourcelles écrit, plus justement sans doute, que son œuvre « mérite d'être mieux connue. ». L'histoire du cinéma se souvient essentiellement de lui pour la deuxième partie de sa carrière, consacrée, après 1958, au cinéma d'épouvante, abordé avec un certain humour. Castle est, pour ceux qui connaissent son nom, un spécialiste des histoires de fantômes et des pastiches hitchcockiens. C'est aussi un amuseur forain qui a inventé diverses attractions pour égayer l'exploitation de ses films. Pour ses détracteurs, il incarnerait une certaine décadence du cinéma populaire et la dégringolade de celui-ci dans la parodie et l'ironie « moderne » ou « post-moderne ». Certains savent encore qu'il a été le producteur de La Dame de Shanghaï d'Orson Welles et de Rosemary's Baby de Roman Polanski.
William Castle est né le 24 avril 1914 à New York. Il débute d'abord comme acteur de théâtre à Broadway, à l'âge de quinze ans, en se faisant passer pour le neveu de Samuel Goldwyn. Il monte sa première pièce en 1932, une adaptation du Dracula de Bram Stoker. Il se met à écrire des pièces pour la radio. Harry Cohn, patron de la Columbia, l'embauche comme auteur-producteur-réalisateur. Il signe son premier long métrage en 1943 et se spécialise dans les films à petit budget adaptés de feuilletons radiophoniques policiers telles les séries des Crime Doctor, The Fat Man (d'après Dashiell Hammett) et de The Whistler, dont l'un des épisodes est signé William Irish.
When Strangers Marry est un film noir réalisé en 1944 avec Robert Mitchum, alors débutant, et Kim Hunter. Sous la houlette de Sam Katzman à la Columbia, il réalise entre 1953 et 1956 un nombre conséquent de films à petit budget. Des séries B tournées en quelques jours avec des moyens dérisoires, et des stars de second plan.
Des récits conçus comme des trompe-l'œil
En 1958, avec Macabre, il inaugure le cycle de films d'épouvante qui feront sa réputation. Castle ne s'intéresse guère aux thèmes du gothique cinématographique classiques (à l'exception de l'excellent Mr. Sardonicus) et préfère tourner des récits de maisons hantées et, surtout, de machinations diaboliques. C'est le moment où il met au point une technique à la fois originale et primitive de marketing. Les projections étaient agrémentées par l'usage de gadgets et de trucs de fête foraine (fauteuils qui vibrent, lâchers de squelettes dans les salles, compte à rebours avant la scène choc, etc.) Il faut se garder pourtant de réduire Castle au rang d'un simple amuseur, d'un amateur d'ironie et de parodies, même si la fin de sa carrière privilégiera de plus en plus les comédies d'humour noir (Let's Kill Uncle en 1966 ou The Busy Body en 1967 d'après Donald Westlake) ou les étrangetés comme Shanks (1974) avec le mime Marceau !
Un certain goût pour l'inquiétant et le macabre affleuraient déjà dans certaines productions antérieures à sa période horrifique, comme l'angoisse paranoïaque qui sourd de When Strangers Marry, la caverne jonchée de squelettes et infestée de chauves souris géantes dans laquelle échouent les héros de Fort Ti (1953), les tortures subies par Cochise (John Hodiak) dans Conquest of Cochise (1953), par exemple. Castle fait peu appel au surnaturel. La plupart de ses histoires décrivent des mises en scène morbides. Ce sont des fictions criminelles où les coupables font inévitablement appel à des simulacres, à des mises en scène. Le spectacle fait ainsi partie intégrante de récits conçus comme des trompe-l'œil pour le spectateur comme pour les personnages. Son intérêt pour les machinations est sans doute à l'origine de cette qualité, un goût acquis, selon Castle lui-même, à la vision des Diaboliques d'Henri-Georges Clouzot. Castle est ainsi comme les propres protagonistes de ses films, occupé à monter des stratagèmes destinés à faire peur.
Inspiré par Hitchcock
Mais l'autre succès dont va s'inspirer Castle c'est bien sûr Psycho / Psychose d'Alfred Hitchcock, réalisé en 1960, qui engendra, comme on sait, une descendance conséquente et inégale et peut, à juste titre, être considéré comme l'œuvre séminale, avec The Birds / Les Oiseaux, du cinéma de terreur moderne. Tout comme Hitchcock pour son film, Castle reprend l'esthétique épurée de la télévision, le noir et blanc, la banalité des lieux d'une Amérique provinciale, des décors simplissimes, des personnages sans qualités, souvent animés par de bas instincts et d'ignobles pulsions telles l'avidité, la peur, la frustration sexuelle. Ce dernier état est particulièrement illustré par les personnages incarnés par Joan Crawford dans Strait Jacket / La Meurtrière diabolique (1964) et Barbara Stanwyck dans The Night Walker / Celui qui n'existait pas (1965).
De tels partis pris semblent exprimer une volonté de stylisation consciente. Des films comme Homicidal / Homicide (1961) ou Strait Jacket fonctionnent sur divers assemblages qui sont autant de variations sur Psycho. Castle invente d'excitantes combinatoires narratives (le couple mère-fils du modèle devient un duel frère-sœur ou mère-fille) ou iconiques. Ainsi l'escalier, lieu pivot de l'action, devient une figure en soi dont les possibilités plastiques et dramatiques sont ingénieusement dépliées dans des films comme Homicidal, I Saw What You Did, The Night Walker. Le scénariste de ce dernier titre n'est autre que l'auteur du roman à l'origine de Psycho, Robert Bloch. La scène de la douche fait l'objet d'une étonnante inversion dans I Saw What You Did. Alors qu'un certain cinéma d'avant-garde s'est souvent enorgueilli de fonctionner comme principe de déconstruction analytique d'œuvres existantes, Castle, sans en avoir l'intention, a inventé une forme d'art inconsciemment conceptuelle. Cette qualité a évidemment été déterminée par une histoire, celle du cinéma hollywoodien classique, qui arrivait à son terme. Il y a comme un parfum de décadence et de décomposition dans le cinéma de William Castle. L'auteur de Homicidal est le démiurge ironique d'un monde de simulacres, fonctionnant sur la programmation mentale et la mémoire de son spectateur, délaissant la profondeur de ses modèles pour en interroger les mécanismes.
Jean-François Rauger