Vittorio Cottafavi
Du 12 au 30 juillet 2017
Du mélo au péplum
On peut lire sur la jaquette du DVD de La Révolte des gladiateurs édité en Italie cette affirmation à première vue étonnante sur le réalisateur du film : « les films historico-mythologiques réalisés entre 1950 et 1960 ont mis en évidence la sagesse de "metteur en scène" de Vittorio Cottafavi, provoquant l'appréciation enthousiaste de la critique française pour le "grand Vittorio". » Cette constatation, très fair-play, qu'en l'occurrence la critique transalpine ne fut pas prophète en son pays, rappelle à quel point l'auteur de Fille d'amour n'a pas été, en son temps, reconnu à sa juste valeur, à l'instar d'autres cinéastes italiens (Riccardo Freda, Raffaello Mattarazzo) coupables de n'avoir pas choisi la voie ouverte par le néoréalisme et son impératif idéologique. Et là aussi on peut dire qu'une partie de la cinéphilie et de la critique française (les mac-mahoniens de Présence du cinéma, les nickelodeoniens et quelques plumes des Cahiers du cinéma comme Luc Moullet ou Michel Delahaye) aura « fait le boulot ». Sans suffisamment être entendue tant il est encore compliqué aujourd'hui de montrer les films de Cottafavi, qui n'ont longtemps pas été jugés dignes d'un travail de conservation et de restauration exemplaire.
Un calligraphe
Cottafavi est un véritable artiste de la Renaissance, un homme qui aura nourri son ouvrage à la source de toutes les autres disciplines et aura même montré sa capacité à ennoblir ce nouveau médium, la télévision à laquelle il collabore dès 1957. Il est sans doute logique que le cinéma ne lui soit pas venu comme une vocation immédiate : la musique, la littérature, la peinture furent ses premiers choix avant d'opter pour un art qui, plus que jamais, pourrait en être considéré comme une forme de synthèse. Après un parcours des plus traditionnels (études au Centro sperimentale, des années d'assistanat), il signe un premier long métrage en 1943, une comédie, I Nostri sogni, adaptation d'une pièce d'Ugo Betti avec Vittorio De Sica dans le rôle d'un imposteur maladroit. En 1949, il réalise le film qui fut à l'origine d'un énorme et absurde malentendu : La Fiamme che non si spegne est un mélodrame christique embrassant cinquante ans de l'histoire de l'Italie. Le destin de deux hommes, le père et le fils, tous deux carabiniers, va tout à la fois explorer la fatalité de la loi du sang et le lourd poids des pères. Le sacrifice final du héros, s'accusant d'un sabotage pour épargner la vie des habitants de son village, déclenchera une polémique qui vit le film souffrir d'une accusation infamante. Sa présentation au Festival de Venise suscita la rédaction d'une lettre collective de critiques et d'écrivains protestant contre son idéologie présumée, l'accusant de réhabiliter les guerres fascistes et de travestir la lutte anti-nazie. De cet épisode, il n'est pas sûr que Cottafavi se remit complètement. Il se jette dès lors dans les films d'aventures historiques, dont le très beau Milady et les mousquetaires et le mélo féminin.
Una Donna ha ucciso, transposition d'un fait divers réel (une femme assassine son amant, un officier américain séducteur et pervers), L'Affranchi, Fille d'amour (qui rejoue La Dame aux camélias dans l'Italie des années 1950), proposent d'émouvants et subtils portraits de femmes. Loin du lyrisme extatique des films de Mattarazzo, les mélos cottafaviens se distinguent par la subtilité de leur écriture. La calligraphie se met au service d'une peinture fine des caractères, refusant les visions univoques pour dépeindre des personnages complexes, rongés par le remords et l'indécision mais tout autant précisément saisis dans leur contexte social. Ses héroïnes apparaissent à la fois comme authentiques et comme véritables figures de tragédie.
Paraboles néo-mythologiques
À la période des mélodrames succède celle des péplums, celle des films « néo-mythologiques », comme Cottafavi se plaira à définir cette catégorie populaire du cinéma transalpin. On aurait tort, sans doute, de voir à ce moment précis une rupture dans la carrière du cinéaste optant opportunément pour le genre à succès du moment. Messaline ou Les Légions de Cléopâtre sont à la fois de délicats et acérés portraits de femmes et des métaphores politico-historiques. La cruauté, présente, mais de façon plus psychologique, dans les titres du début des années 1950, prend une dimension plus graphique, s'inscrivant dans le sadomasochisme de bande dessinée du genre lui-même. Là aussi, les leçons de la tragédie classique s'imposent grâce à une mise en scène incroyablement subtile, saisissant le frémissement des événements dans le recours au silence, dans un usage particulier de la profondeur de champ ou bien dans le traitement géométrique de l'espace. Le péplum devient avec lui tout à la fois un récit humain, fût-il servi par la description d'un univers totalement fantaisiste, et une métaphore. La Vengeance d'Hercule et, surtout, Hercule à la conquête de l'Atlantide sont des fables politiques, illustrant ce que contenaient déjà des films comme La Révolte des gladiateurs ou Les Légions de Cléopâtre. Apologues anti-totalitaires tout autant que réflexions sur ce qui pèse psychologiquement et socialement sur le destin des individus écrasés par les dieux. Les Cent cavaliers (1964), chef-d'œuvre et chant d'adieu au cinéma, semble constituer la synthèse de l'art de Cottafavi, tout simplement, mais plus précisément de cette volonté de donner un écrin somptueux à la réflexion politique, un emballage à la beauté plastique inégalée, le cinéaste osant même un audacieux passage de la couleur au noir et blanc. Mais l'érudition de Cottafavi s'est tout autant exprimée dans ses nombreux travaux pour la télévision, dont nous ne pouvons montrer qu'une infime partie. Relire Dostoïevski, Conrad, Chesterton ou Euripide, entre autres, aura été pour le cinéaste une pratique dont la rétrospective propose un échantillon.
Jean-François Rauger