Malgré son apparente versatilité, l’œuvre de Roman Polanski possède une unité paradoxale et profonde, combinant grand spectacle et vision personnelle, intérêt pour les innovations techniques et explorations psychiques, dérives fantastiques et sens du détail vériste.
Un art visionnaire
Roman Polanski aime dire qu'il a apporté une certaine touch européenne au cinéma américain et que, réciproquement, son goût pour les films hollywoodiens l'a poussé à en importer le professionnalisme au sein du Vieux Continent. Même si ses thèmes fétiches sont assez facilement repérables (intérêt pour le huis clos, personnages guettés par la frustration et/ou la folie, pression sociale écrasant l'individu, jeux d'humiliations, tentation de l'absurde et de la farce...), on est ainsi dérouté devant le caractère composite de sa carrière, en termes de genres abordés, de pays producteurs, de gammes de budget, voire de montages financiers. Après que son premier long métrage, Le Couteau dans l'eau, a valu à la Pologne une nomination à l'Oscar du meilleur film étranger, il réalise en Angleterre Répulsion et Cul-de-sac pour le compte de Tony Tenser, jusqu'alors pourvoyeur de séries Z horrifico-sexy. C'est ensuite l'empire du magazine Playboy qui lui finance un Macbeth plein de boue et de fureur, tourné entre ses deux grands succès hollywoodiens, Rosemary's Baby et Chinatown. Et quand la rubrique faits divers le poussera à fuir définitivement les studios californiens, il devra écumer les bureaux des nababs internationaux, en comptant sur son nom et son talent pour susciter l'intérêt autour de projets ambitieux et atypiques.
Un regard oblique sur les genres
Avec un peu de provocation, on pourrait qualifier tous ces films du mot péjoratif d'« euro-pudding », désignant ces coproductions européennes « de prestige » tournées en anglais avec un casting cosmopolite, et souvent adaptées de classiques littéraires. Sauf que notre cinéaste va donner ses lettres de noblesse à cette catégorie ingrate, qui semble conçue à son seul profit. D'abord, cet éternel exilé, féru d'univers étrangers et labyrinthiques, peut y égarer des stars américaines qui se retrouvent ainsi comme des poissons hors de l'eau : voir Harrison Ford dans les belles variations hitchcockiennes de Frantic, ou Johnny Depp dans l'ahurissant et pourtant très réussi La Neuvième Porte.
Mais le plus important dans ce système de coproductions continentales est peut-être qu'il permet à Polanski de s'affranchir de la tyrannie des genres, qu'il traite de manière volontiers oblique. En effet, mis à part des parodies qui ne sont pas ses films ayant le mieux vieilli (Le Bal des vampires, Pirates), il se soucie peu des conventions. Déjà, il avait bataillé avec Robert Evans, le producteur de Chinatown, pour escamoter l'hommage au film noir au profit d'un regard direct sur la réalité des années 30. De la même manière, la fresque mélodramatique de Tess se déroule sur fond d'une description quasi-maniaque de l'agriculture du XIXe siècle... même si la campagne anglaise a en fait été reconstituée en France sous la houlette du producteur Claude Berri.
Le corps ne répond plus
Loin d'être abstrait ou artificiel, le cinéma de Polanski est donc un mélange entre, d'une part, une volonté de relever toutes sortes de défis techniques, et d'autre part, un sens du détail véridique et trivial. En revoyant ses films, on reste stupéfait devant le nombre incalculable de scènes où les personnages mangent ou boivent, quand ils ne sont pas simplement tenaillés par la faim. Cela contamine jusqu'à ce qu'on pourrait appeler la « trilogie de l'horreur schizophrénique » qui, par là, tient peut-être moins du surréalisme que de l'hyperréalisme. Ces histoires de possession sont ancrées dans le concret par des substances organiques (la décoction permettant que Rosemary porte l'enfant du Démon, la tasse de café du Locataire, la patate et la carcasse de lapin germant et pourrissant à mesure que l'héroïne de Répulsion bascule dans la folie homicide) et ces substances font entrer les protagonistes dans des phases de réclusion dont ils sortent avec une identité altérée : Rosemary acceptant son rôle de mère du Diable, le nouveau locataire réincarné dans le corps mourant de la précédente occupante de l'appartement...
De plus, ces transformations procèdent d'images mentales qui ne sont pas vraiment hallucinatoires, mais plutôt visionnaires. La clé réside peut-être dans un titre pourtant un peu anecdotique, l'escapade italienne de Quoi ? : échouée dans une villa étagée sur une falaise, l'héroïne parle à un homme situé sur la terrasse du dessus, mais ce dernier lui explique que pour le rejoindre à pied, elle devra traverser un nombre absurde de pièces. Bref, chez Polanski, l'œil voit, mais c'est le corps qui ne répond plus. Ou alors : quand le corps est immobilisé, l'œil se met à voir des choses échappant aux autres sens. C'est ce qui arrive dans le dernier acte du Pianiste, dont le personnage-titre, forcé de se terrer dans des appartements, assiste impuissant à l'insurrection de Varsovie. Puis il découvre une ville en ruines qui est presque aussi fantasmagorique que les mains masculines sortant des murs dans Répulsion, mais qui n'en ressemble pas moins aux images télévisuelles de Grozny ou Alep. Cependant, de la même façon qu'il retourne comme un gant les clichés antisémites sur l'argent, le film inverse l'habituel traitement polanskien du psychisme : c'est quand il est cloîtré que le héros retrouve son identité, d'être humain, de Juif, de pianiste du nom de Szpilman, avec la complicité d'un énigmatique officier de la Wehrmacht.
D'où un ultime pied de nez : habituellement, le meilleur long métrage d'un réalisateur n'est pas celui qui le couvre de Palmes, Césars et autres Oscars, ni celui où il aborde littéralement la source de ses obsessions – ici, l'expérience de Polanski enfant dans le ghetto de Cracovie. Tout au contraire, l'intéressé signe avec Le Pianiste le film de sa vie, à tous les sens du terme : ses préoccupations entrent en pleine résonance avec le sujet, et le résultat demeurera sans doute son plus grand chef-d'œuvre.
Gilles Esposito
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Dans les salles
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Du 30 octobre au 25 novembre 2017
Les films
- Bal des vampires (Le) Roman Polanski / États-Unis-Grande-Bretagne / 1966 10 Ve 3 nov 19h00 Me 15 nov 17h00 Di 19 nov 15h00
- Carnage Roman Polanski / France-Allemagne-Pologne-Espagne / 2011 Ve 10 nov 22h15 Di 19 nov 20h00
- Chinatown Roman Polanski / Etats-Unis / 1973 Me 1 nov 20h00 Me 8 nov 17h00 Ve 24 nov 21h30
- Couteau dans l'eau (Le) Roman Polanski / Pologne / 1962 Ve 17 nov 19h30 Me 22 nov 17h00
- Cul-de-sac Roman Polanski / Grande-Bretagne / 1965 Di 5 nov 20h00 Ve 17 nov 21h30
- D'après une histoire vraie Roman Polanski / France-Belgique / 2016 Lu 30 oct 20h00
- Frantic Roman Polanski / Etats-Unis / 1987 Ve 3 nov 21h15 Je 16 nov 17h00
- Ghost Writer (The) Roman Polanski / France-Allemagne-Grande-Bretagne / 2009 Sa 4 nov 14h30 Je 16 nov 21h45
- Jeune fille et la mort (La) Roman Polanski / France-Etats-Unis / 1994 Me 8 nov 21h15
- Locataire (Le) Roman Polanski / France / 1975 Sa 4 nov 21h45 Je 23 nov 21h30
- Lunes de fiel Roman Polanski / France, Grande-Bretagne / 1991 Sa 11 nov 18h45 Sa 25 nov 18h45
- Macbeth Roman Polanski / Grande-Bretagne / 1971 Di 5 nov 17h00 Me 15 nov 19h30
- Neuvième porte (La) Roman Polanski / France-Espagne / 1998 Je 9 nov 21h30 Sa 25 nov 21h30
- Oliver Twist Roman Polanski / Grande-Bretagne-République Tchèque-France-Italie / 2004 Je 2 nov 17h00 Me 22 nov 17h45
- Pianiste (Le) Roman Polanski / France-Russie-Pologne / 2001 Sa 11 nov 14h00 Sa 18 nov 20h00
- Pirates Roman Polanski / France / 1985 10 Di 5 nov 15h00 Lu 20 nov 16h30
- Plus belles escroqueries du monde (Les) Roman Polanski, Hiromichi Horikawa, Ugo Gregoretti, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol / France-Italie-Japon-Pays-Bas / 1963 Di 19 nov 17h00 Lu 20 nov 14h00
- Quoi ? Roman Polanski / Italie-France-République fédérale d'Allemagne / 1972 Me 8 nov 14h30 Di 19 nov 22h00
- Répulsion Roman Polanski / Grande-Bretagne / 1964 Je 2 nov 18h00 Je 16 nov 19h30
- Rosemary's Baby Roman Polanski / États-Unis / 1968 Sa 4 nov 19h00 Ve 10 nov 19h30
- Tess Roman Polanski / France, Grande-Bretagne / 1978 Je 2 nov 20h30 Je 23 nov 14h30
- Vénus à la fourrure (La) Roman Polanski / France-Pologne / 2012 Je 9 nov 19h30 Je 23 nov 19h30
- Weekend of a Champion Frank Simon, Roman Polanski / France-Grande-Bretagne / 1972 Me 8 nov 19h30
Courts métrages
- Cassons le bal Roman Polanski / Pologne / 1957 CM Sa 11 nov 21h45
- Deux hommes et une armoire Roman Polanski / Pologne / 1958 CM Sa 11 nov 21h45
- Gros et le maigre (Le) Roman Polanski / France / 1960 CM Sa 11 nov 21h45
- Lampe (La) Roman Polanski / Pologne / 1958 CM Sa 11 nov 21h45
- Mammifères (Les) Roman Polanski / Pologne / 1962 CM Sa 11 nov 21h45
- Meurtre Roman Polanski / Pologne / 1956 CM Sa 11 nov 21h45
- Quand les anges tombent Roman Polanski / Pologne / 1959 CM Sa 11 nov 21h45
- Rire de toutes ses dents Roman Polanski / Pologne / 1956 CM Sa 11 nov 21h45
Autour de Roman Polanski
- My Inspirations Laurent Bouzereau / Italie / 2015 CM Di 12 nov 20h15
- Roman Polanski: A Film Memoir Laurent Bouzereau / Grande-Bretagne-Italie-Allemagne / 2011 Di 12 nov 21h00
Carte blanche à Roman Polanski
- 8½ Federico Fellini / Italie, France / 1962 Je 16 nov 14h30
- Des souris et des hommes Lewis Milestone / Etats-Unis / 1939 Di 12 nov 14h30
- Grandes espérances (Les) David Lean / Grande-Bretagne / 1946 Lu 20 nov 14h30
- Hamlet Laurence Olivier / Grande-Bretagne / 1948 Sa 18 nov 14h30 Ve 24 nov 14h30
- Huit heures de sursis Carol Reed / Grande-Bretagne / 1947 Me 15 nov 14h15
- Poison (Le) Billy Wilder / États-Unis / 1944 Di 19 nov 14h30
- Voleur de bicyclette (Le) Vittorio De Sica / Italie / 1948 Ve 17 nov 15h00
Rencontres et conférences

- D'après une histoire vraie Roman Polanski

- Chinatown Roman Polanski

- Oliver Twist Roman Polanski
- Répulsion Roman Polanski
- Tess Roman Polanski
- Le Bal des vampires Roman Polanski 10

- Frantic Roman Polanski
- Quoi ? Roman Polanski
- Chinatown Roman Polanski
- Weekend of a Champion Frank Simon, Roman Polanski

- La Jeune fille et la mort Roman Polanski

- La Vénus à la fourrure Roman Polanski
- La Neuvième porte Roman Polanski
- Le Pianiste Roman Polanski

- Lunes de fiel Roman Polanski
- Deux hommes et une armoire Roman Polanski CM
- Meurtre Roman Polanski CM
- La Lampe Roman Polanski CM
- Quand les anges tombent Roman Polanski CM
- Les Mammifères Roman Polanski CM
- Rire de toutes ses dents Roman Polanski CM
- Cassons le bal Roman Polanski CM
- Le Gros et le maigre Roman Polanski CM

- Huit heures de sursis Carol Reed
- Le Bal des vampires Roman Polanski 10
- Macbeth Roman Polanski
- 8½ Federico Fellini

- Frantic Roman Polanski
- Répulsion Roman Polanski
- The Ghost Writer Roman Polanski
- Le Voleur de bicyclette Vittorio De Sica
- Le Couteau dans l'eau Roman Polanski

- Cul-de-sac Roman Polanski
- Le Poison Billy Wilder

- Le Bal des vampires Roman Polanski 10
- Les Plus belles escroqueries du monde Roman Polanski, Hiromichi Horikawa, Ugo Gregoretti, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol
- Carnage Roman Polanski
- Quoi ? Roman Polanski

- Les Plus belles escroqueries du monde Roman Polanski, Hiromichi Horikawa, Ugo Gregoretti, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol
- Les Grandes espérances David Lean
- Pirates Roman Polanski 10
-
14h00
- Le Pianiste Roman Polanski
-
18h45
- Lunes de fiel Roman Polanski
-
21h45
- Deux hommes et une armoire Roman Polanski CM
- Meurtre Roman Polanski CM
- La Lampe Roman Polanski CM
- Quand les anges tombent Roman Polanski CM
- Les Mammifères Roman Polanski CM
- Rire de toutes ses dents Roman Polanski CM
- Cassons le bal Roman Polanski CM
- Le Gros et le maigre Roman Polanski CM
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