Richard Brooks

Du 15 septembre au 16 octobre 2021

Richard Brooks, le loup solitaire

Richard Brooks est un cas un peu spécial dans le cinéma classique américain : respecté de loin, rarement revisité, et, en dépit de succès imposants que personne ne discute (Elmer Gantry, Les Professionels, De sang-froid), peu aimé. Il avait peu d'amis à Hollywood, n'aimant finalement que son travail. Colérique et paranoïaque sur les plateaux, il gardait jalousement ses scénari durant les productions. Considéré comme « impossible » par beaucoup, il imposait au final respect et souvent affection à ses collaborateurs. Les cinéphiles d'antan lui prêtaient la même estime polie, mais guère enthousiaste, le jugeant « lourd », « bavard », « schématique ». Il fut même traîté de cinéaste académique, injustement : s'il a souvent adapté des livres connus et même de grands classiques, on a rarement vu pareil courage et netteté dans sa façon de « prendre et laisser ». Quel que soit le monument littéraire (Lord Jim, Truman Capote, Tennessee Williams, ou les fichus Frères Karamazov), Brooks partait toujours pour faire un film intègre, et pour faire le spectacle.

Soif de liberté

On ne peut que s'incliner devant sa longévité et sa résilience au sein du studio system hollywoodien. À partir de Gantry, il suivra toujours sa ligne, sans écouter les autres. Aussi tard que 1976, le premier jour de tournage sur ce qui allait être son dernier succès (de scandale), il réunissait l'équipe et les acteurs de Looking for Mr. Goodbar : « Vous avez sûrement tous vos idées sur ce qui pourrait améliorer le film. Gardez-les pour vous. It's my fucking film, and I'm going to make it my way. » Pour autant, Brooks était notoirement responsable sur les budgets et les dépassements. Personne avec ce genre d'arrogance et de mauvaises manières n'aurait jamais pu durer si longtemps à Hollywood sans avoir aussi un instinct très sûr, comme en témoigne son palmarès, trente-trois nominations et plusieurs Oscars personnels. Et un quelconque malotru n'aurait pu aligner si longtemps des collaborations aussi prestigieuses : Humphrey Bogart, Paul Newman, Elizabeth Taylor, Burt Lancaster, Sidney Poitier (deux fois chacun), Lee Marvin, Peter O'Toole juste après son triomphe dans Lawrence d'Arabie, Gene Hackman, Sean Connery, Cary Grant (qui l'impose à la MGM en 1950, lui permettant de réaliser son premier film, Crisis), ont tous toléré ses manières d'ours avec bénéfice.

On est surpris d'apprendre – vu le peu de place que ses origines occupent dans son œuvre – que ses parents parlaient yiddish à la maison, et que Reuben Sax, né en 1912 d'une famille pauvre mais chaleureuse à Philadelphie, n'a changé son nom en Richard Brooks que bien après qavoir signé de ce pseudonyme ses articles et émissions de radio au début de sa carrière. Ce n'est qu'en 1943, à l'occasion de son enrôlement dans les Marines, qu'il change son état civil. Il était à Hollywood depuis deux ans, mais pas encore dans le cinéma. Écrire cinq histoires par semaine pour l'émission Sidestreet Vignette sur NBC (200 au total) n'était pas un mauvais apprentissage pour quelqu'un qui a presque toujours réalisé ses propres scripts. Sur les sept films MGM de ses débuts, il ne faisait guère plus que filmer les pages. C'est en tournant Les Frères Karamazov qu'il commence à s'exprimer en images et cherche à émouvoir à travers elles. Les Russes l'avaient invité à le faire chez eux, mais c'est sur le back lot de Culver City qu'il doit recréer les frimas d'un psychodrame philosophique de 1115 pages, avec un acteur principal coproducteur (Yul Brynner, fort du succès du Roi et moi) qui s'amène flanqué du neveu de Tolstoï comme consultant sur la Russie tsariste. Comme il fera désormais pour ses fameuses adaptations, Brooks n'hésite pas à tailler dans la masse et se concentrer sur l'histoire qui l'intéresse (la rivalité de Dimitri avec son père). Le film est ce qu'il est (soûlant), mais il est visuellement original – une première pour Brooks. Avec son chef opérateur John Alton, il travaille sur des éclairages croisés rouges et verts, censés correspondre à la psychologie des personnages ; ils tirent surtout vers une esthétique « Crazy Horse Saloon ». Jusqu'alors, Brooks s'était contenté de filmer des mots, et ses réalisations ne marchaient que si l'histoire ou le thème l'engageaient personnellement : la mort d'un grand quotidien (Deadline-USA), son dégoût pour le massacre des bisons (La Dernière chasse), ou Graine de violence, son premier grand succès.

L'amour des mots

Le naturel reprend presque toujours le dessus quand il s'efforce de ne pas « éditorialiser » (speechifying), souvent lors du tournage, comme sur De sang-froid avec le personnage (rajouté) du journaliste. « Tous les films parlent trop, les miens en particulier », admettait sur le tard l'homme qui fit graver sur sa tombe en 1992, sous une menorah : « Au commencement était le mot. » Il lui arrivera, cependant, d'atteindre le bon équilibre entre le visuel et le dialogue, jamais mieux qu'avec son premier triomphe artistique, Elmer Gantry, un projet qu'il couvait depuis si longtemps qu'il avait eu l'occasion d'en parler avec l'auteur, Sinclair Lewis, avant la guerre.

Il était cet être rare, un individualiste farouche qui pouvait travailler avec les autres et se faire financer par les studios. Pour préserver son indépendance, il se contentait de budgets modestes, limite insuffisants. Même Lord Jim, son projet le plus cher (aux deux sens du terme), n'a jamais pris des allures d'Apocalypse Now. Ce gros bide tourné au Cambodge, plus artificier qu'autre chose, prouvait au moins que Brooks savait retomber sur ses pieds : il enchaînera dos à dos Les Professionnels et De sang-froid, deux de ses plus gros succès commerciaux et artistiques. On a rarement vu western plus physique que le premier, ni plus satisfaisant sur tous les plans. Ce qui rend sa fin de carrière d'autant plus surprenante : après l'efficacité à tout crin de sa grande période, il fera des films de plus en plus moches et ratés – Wrong Is Right étant sans doute le pompon du lot, bien que tiré d'un bon roman prophétique de Charles McCarry dans lequel les attentats suicides, les assassinats politiques, et une Amérique avec une vice-présidente noire étaient la norme. Retournant aux manières criardes de ses débuts, Brooks rate même complètement son adaptation. Une première (et une dernière) pour lui.

Philippe Garnier

Les films

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