Le nom de René Clair (1898-1981) fut l'un des plus prestigieux du cinéma français. À travers ses comédies et ses écrits, il a construit une œuvre d'une grande rigueur – où la nostalgie du cinéma muet prépare la politique d'un auteur.
René Clair, ou l'auteur absolu
Dans le monde entier, René Clair aura longtemps occupé le rôle qui devait être repris par François Truffaut : celui d'un esprit même du cinéma français, qui en résumait le système de valeurs et la plus haute histoire. Surtout, bien avant ses fils prodigues de la Nouvelle Vague, il s'était construit tout entier comme un homme-cinéma, pratiquant d'un même élan la critique et la création, se voulant à la fois « l'enfant du siècle qui attend un film » et celui qui va s'identifier au mouvement futur du septième art : d'où, dès le départ, le choix d'un pseudonyme où se conjuguent renaissance et clarté.
L'Avant-garde vue de dos
À première vue, son profil intellectuel ne le distinguait pourtant guère de ses collègues en avant-garde : issu d'une bourgeoisie commerçante du ventre de Paris, il a connu les charmes finissants de la Belle Époque, les raffinements d'un symbolisme fané, la fracture enfin d'une Grande Guerre qui renvoie la littérature à une certaine stérilité. Dans cette désillusion, il rejoint les Delluc, Gance et autres L'Herbier qui embrassent avant lui la carrière cinématographique – mais il n'est pas moins proche du dadaïsme, ou d'un pré-surréalisme qui privilégie le cinéma comme contre-culture, ou expression pure de l'inconscient.
C'est ce qui fait la singularité de sa situation, dès ses chroniques de 1922-24 : tout en faisant l'éloge de cette dynamique visuelle qu'incarnent les grands auteurs-acteurs américains, il commence à égratigner une production française trop empreinte de références littéraires. Lui qui a fait son entrée en cinéphilie par le détour de petits rôles chez Louis Feuillade, il est l'un des premiers à prôner le retour vers un cinéma primitif, vers cette « tradition de 1900 » qu'auraient occultée les prétentions du Film d'Art.
D'où les malentendus autour de ses premiers films, qui semblent à la pointe de la modernité cinématographique alors qu'ils s'en démarquent subtilement : Paris qui dort est une pochade qui se moque des outrances du caligarisme, et qui use des trucs de montage les plus ingénus pour ranimer un merveilleux à rebours ; Entr'acte convoque le Tout-Paris intellectuel des années folles et tous les tics de l'écriture automatique, pour retrouver le rythme des courses poursuites à l'ancienne... À la lettre, c'est à un enterrement des avant-gardes qu'invite le jeune cinéaste – en même temps qu'à une décomposition des principes fondateurs du mouvement filmique. Après quelques ouvrages intermédiaires, il va confirmer son statut d'auteur en négatif, avec deux adaptations de Labiche. Ce seront Un chapeau de paille d'Italie et Les Deux Timides, où il démontre par l'absurde les ressources autosuffisantes de l'image mentale, chargée de ressusciter une rhétorique vaudevillesque tombée en poussière, voire la fantaisie désuète des vieilles bandes Pathé. Cette gageure brillamment tenue fait de Clair un porte-parole idéal pour un cinéma français en pleine crise d'identité.
Puisqu'il faut bien admettre que le cinéma parle...
Dès lors, à l'heure où Feyder est aux États-Unis, à l'heure où Grémillon et Epstein sont renvoyés à la marge, Clair sera le seul à assurer la continuité d'une seconde avant-garde – réconciliée avec le réalisme, mais cherchant à poursuivre au-delà du parlant la part d'onirisme attachée à l'art muet... Puisqu'il faut bien admettre que le cinéma parle, c'est par une non-coïncidence de l'image et du son, ou le recours à la musique comme fil rouge du récit que le réalisateur contourne les lois de la pesanteur. C'est aussi par la formation d'un « petit monde », où survivent les microcosmes rêveurs de ses premiers films : avec une association de figures sympathiques et anachroniques, cultivant en marge de l'Histoire l'utopie d'une communauté de copains ; avec une équipe fidèle de collaborateurs, qui reconstituent en studio une France quintessenciée, lumineuse, bienveillante. Le ton est donné dès la première scène de Sous les toits de Paris, à travers le spectaculaire travelling qui passe en revue tous les habitants d'un immeuble : Clair inaugure avec quelques années d'avance le réalisme poétique que populariseront ses assistants Carné ou Lacombe, mais en prolongeant la fiction d'une société encore unanime. C'est ce qui explique le formidable succès du film à l'étranger, que dépassera celui du Million.
Pour cette nouvelle adaptation d'un vaudeville-poursuite, Clair substitue au texte un canevas improvisé et mêlé de couplets qu'il intègre à la diégèse. Transposant dans le film sonore la formule du Chapeau de paille, il invente une comédie musicale « à la française » qui restera une réussite sans lendemain – y compris dans son œuvre : À nous la liberté et Le Dernier milliardaire marqueront un décalage grandissant entre cette poésie d'opérette et l'assombrissement de l'horizon social et politique. Aussi bien, son dernier chef-d'œuvre de cette période demeure Quatorze juillet, évocation minimaliste d'un Paris/paradis perdu, où Clair stylise avec une extrême rigueur sa vision d'un monde enfui.
Le temps d'un retour
L'échec du Dernier milliardaire l'amène à accepter l'invitation de travailler en Grande-Bretagne : il y réalise deux plaisantes satires du macabre anglo-saxon. Et alors qu'avec l'essai interrompu d'Air pur, il flirte avec l'idée d'un improbable néoréalisme, la guerre le contraint à un nouvel exil : à Hollywood cette fois, où il va user très efficacement de sa Clair's touch, parcourant les poncifs du cinéma de genre américain tels que peut les envisager l'ironie française. Mais c'est au prix d'un contrôle devenu sourcilleux de sa mécanique scénaristique. De fait, ses films français d'après-guerre séduiront essentiellement par l'intelligence de leur construction, vouée désormais à de virtuoses variations sur ses thèmes anciens : la fidélité aux artisans du film primitif (Le Silence est d'or), le fantasme faustien comme miroir du cinéma (La Beauté du diable, où l'ambition d'évoquer le péril nucléaire se heurte à une persistante aporie politique), la remontée dans le temps et les stéréotypes de l'inconscient (Les Belles-de-nuit), le compte à rebours d'avant la guerre de 1914, point aveugle autour duquel s'est arrêté l'imaginaire clairien (Les Grandes manœuvres)... Même s'il reconstitue une troupe de comédiens complices, Clair paraît s'inscrire dans ce cinéma de qualité que domine la nostalgie de 1900 – et que vont bientôt dénigrer ses cadets.
Paradoxe d'autant plus cruel qu'il fut le premier auteur à part entière du cinéma français, imposant la maîtrise d'un seul homme à tous les stades de sa création. Mais cet auteurisme passait moins par la mise en scène, ou la direction d'acteurs, que par une préparation scrupuleuse du scénario qui lui permettait de prévenir jusqu'aux aléas du montage. Il reposait sur une idée somme toute très littéraire de la pratique cinématographique, conçue comme un mal nécessaire pour donner chair à un rêve toujours fuyant. Qu'il fût le premier cinéaste élu comme tel à l'Académie française, qu'il revînt sur le tard à des travaux d'homme de lettres, tout cela ne pouvait que creuser l'écart avec les nouvelles générations. Tout cela confirme pourtant une lecture cohérente du septième art, sans doute trop idéaliste pour n'être pas contrariée par l'Histoire.
Noël Herpe
Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 10 avril au 9 mai 2019
Les films
- À nous la liberté René Clair / France / 1931 Je 11 avr 21h15 Ve 19 avr 19h30
- Beauté du diable (La) René Clair / France-Italie / 1949 Sa 20 avr 15h00 Di 5 mai 14h30
- Belle ensorceleuse (La) René Clair / États-Unis / 1941 Di 14 avr 17h00 Je 2 mai 17h30
- Belles de nuit (Les) René Clair / France-Italie / 1952 Me 17 avr 14h30 Lu 6 mai 17h00
- C'est arrivé demain René Clair / États-Unis / 1943 Di 14 avr 21h30 Me 8 mai 17h00
- Dernier milliardaire (Le) René Clair / France / 1934 Je 18 avr 21h15 Ve 19 avr 22h00
- Deux timides (Les) René Clair / France / 1928 Je 25 avr 16h45 Sa 4 mai 20h00
- Dix petits Indiens René Clair / États-Unis / 1945 Lu 29 avr 14h30 Me 8 mai 14h30
- Entr'acte René Clair / France / 1924 CM Sa 13 avr 17h15 Me 17 avr 19h30
- Et la vie recommence Victor Saville, Herbert Wilcox, René Clair, Frank Lloyd,Edmund Goulding, Cedric Hardwicke, Robert Stevenson / États-Unis / 1943 Ve 12 avr 17h30 Di 21 avr 14h30
- Fantôme à vendre René Clair / Grande-Bretagne / 1935 8 Di 14 avr 14h30 Sa 20 avr 19h45
- Fantôme du Moulin-Rouge (Le) René Clair / France / 1924 Sa 13 avr 15h00 Sa 20 avr 21h45
- Fausses nouvelles René Clair / Grande-Bretagne / 1937 Lu 15 avr 20h30 Di 21 avr 20h30
- Fêtes galantes (Les) René Clair / France-Roumanie / 1965 Sa 27 avr 17h15 Ve 3 mai 17h00
- Grandes manœuvres (Les) René Clair / France-Italie / 1955 Sa 13 avr 21h00 Je 18 avr 19h00
- Ma femme est une sorcière René Clair / Etats-Unis / 1942 Di 14 avr 19h30 Je 9 mai 14h30
- Million (Le) René Clair / France / 1930 Je 11 avr 19h30 Je 18 avr 17h00
- Paris qui dort René Clair / France / 1923 Me 10 avr 20h00
- Porte des Lilas René Clair / France, Italie / 1956 Lu 22 avr 14h30 Je 25 avr 14h30
- Proie du vent (La) René Clair / France / 1926 Sa 13 avr 19h00 Me 17 avr 21h30
- Quatorze juillet René Clair / France / 1932 Me 24 avr 14h30 Me 8 mai 20h30
- Quatre vérités : Les Deux pigeons (Les) René Clair / France-Espagne-Italie / 1962 CM Ve 12 avr 14h30 Je 2 mai 14h30
- Silence est d'or (Le) René Clair / France / 1946 Ve 19 avr 16h30 Lu 6 mai 14h30
- Sous les toits de Paris René Clair / France-Allemagne / 1930 Je 11 avr 14h30 Ve 19 avr 14h30
- Tour (La) René Clair / France / 1928 CM Sa 13 avr 15h00 Sa 20 avr 21h45
- Tout l'or du monde René Clair / France-Italie / 1961 Ve 12 avr 14h30 Je 2 mai 14h30
- Un chapeau de paille d'Italie René Clair / France / 1927 Lu 29 avr 21h15 Ve 3 mai 20h30
- Voyage imaginaire (Le) René Clair / France / 1925 Sa 13 avr 17h15 Me 17 avr 19h30
Rencontres et conférences
- Sous les toits de Paris René Clair
- Le Million René Clair

- À nous la liberté René Clair

- Tout l'or du monde René Clair
- Les Quatre vérités : Les Deux pigeons René Clair CM
- Et la vie recommence Victor Saville, Herbert Wilcox, René Clair, Frank Lloyd,Edmund Goulding, Cedric Hardwicke, Robert Stevenson

- Le Fantôme du Moulin-Rouge René Clair
- La Tour René Clair CM
- Entr'acte René Clair CM
- Le Voyage imaginaire René Clair
- La Proie du vent René Clair
- Les Grandes manœuvres René Clair

- Fausses nouvelles René Clair
- René Clair (1/3) : Un écrivain de cinéma Conférence de Noël Herpe
- Les Belles de nuit René Clair

- Entr'acte René Clair CM
- Le Voyage imaginaire René Clair
- La Proie du vent René Clair

- Le Million René Clair
- Les Grandes manœuvres René Clair
- Le Dernier milliardaire René Clair
- Sous les toits de Paris René Clair
- Le Silence est d'or René Clair

- À nous la liberté René Clair
- Le Dernier milliardaire René Clair

- Porte des Lilas René Clair

- René Clair (2/3) : De la musique avant toute chose Conférence de Noël Herpe
- Quatorze juillet René Clair

- Les Fêtes galantes René Clair
- René Clair (3/3) : Le plus français des cinéastes ? Conférence de Noël Herpe
- Dix petits Indiens René Clair

- Un chapeau de paille d'Italie René Clair

- Tout l'or du monde René Clair
- Les Quatre vérités : Les Deux pigeons René Clair CM
- La Belle ensorceleuse René Clair

- Les Deux timides René Clair

- La Beauté du diable René Clair
-
15h00
Accompagnement musical par Serge Bromberg
- Le Fantôme du Moulin-Rouge René Clair
- La Tour René Clair CM
-
17h15
- Entr'acte René Clair CM
- Le Voyage imaginaire René Clair
-
19h00
Accompagnement au piano par Satsuki Hoshino de la classe d'improvisation de Jean-François Zygel.
- La Proie du vent René Clair
-
21h00
Copie en mauvais état
- Les Grandes manœuvres René Clair
Découvrir
Partenaires et remerciements
Films Sans Frontières (Christophe Calmets), Gaumont (Héloïse Aimé et Louise Paraut), Lobster Films, Park Circus Limited – Glasgow, Pathé Distribution (Tessa Pontaud, Victor Gérard), Tamasa Distribution (Clara Giruzzi), Théâtre du Temple, Universal – Los Angeles (Janice Simpson, Michael Duruty). Stagiaire : Flora Nicolas.
En partenariat avec

En collaboration avec


Partenaire des ciné-concerts
