Né à Amsterdam en 1938, le scénariste et réalisateur Paul Verhoeven débute sa carrière dans les années soixante en tournant quelques courts métrages puis des documentaires et séries pour la télévision. Son premier film, la comédie coquine Business is Business (1971), annonce ses obsessions. Enfant terrible du cinéma européen, il impose, au fil d'une filmographie en apparence hétéroclite, une vision singulière et provocatrice, empreinte de violence, d'érotisme et d'humour noir.
The Filming Dutchman
Paul Verhoeven, cinéaste profane, iconoclaste visionnaire ou vulgaire provocateur ? Cette étiquette d'agitateur, le réalisateur néerlandais l'a toujours revendiquée : « C'est un réel plaisir que de dévier de la norme, de la dépasser. Faire ce genre de films, c'est aussi une sorte de challenge. Lorsqu'on éprouve de la satisfaction à révéler ce qui est enfoui, cela s'appelle de la provocation. »1
Il y a une scène dans Turkish Delight (1973), récipiendaire de l'Oscar du meilleur film étranger, qui résume admirablement le projet esthétique de Paul Verhoeven. Eric (interprété par Rutger Hauer, comédien qu'il avait rencontré à la télévision et qui sera l'un des collaborateurs principaux) a été engagé pour participer à la création d'une fresque représentant la résurrection de Lazare de Béthanie. Face à la sculpture, le commissaire est dubitatif : il y a des imperfections ici et là. Eric répond qu'il s'agit de vers puisqu'à sa sortie du tombeau Lazare pourrissait déjà depuis quatre jours. Le commissaire est outré. Il s'agit d'un manque flagrant de respect envers les Saintes Écritures. Eric s'entête et refuse de modifier son œuvre.
Ce court échange permet de présenter le protagoniste comme un anticonformiste, un libre penseur dont la démarche consiste à représenter le réel tel qu'il est au risque d'offusquer les bien-pensants et de faire scandale. C'est aussi le cas de Verhoeven qui, dès sa première période, de Business is Business à The Fourth Man (1983), provoque le malaise par son humour cynique ainsi que sa mise en scène crue du sexe et de la violence.
Précis d'anatomie
En désacralisant le corps humain et ses personnages, au risque d'être accusé par certains d'uniquement s'amuser à les avilir, Verhoeven essaie plutôt de nous rappeler à quel point la chair est faible, au propre comme au figuré. Il s'amuse à réduire l'enveloppe charnelle à ses fonctions primaires : consommation, déjection, reproduction. Le monde est matière, le monde est pourriture. Dans Flesh and Blood (1985), la rencontre amoureuse entre Agnes (Jennifer Jason Leigh) et Steven (Tom Burlinson) se déroule sous un arbre dont les racines sont fertilisées par les fluides s'écoulant des corps des pendus qui se décomposent au bout de ses branches. Le reste du film est marqué par les trahisons, les manipulations et l'excès ; des banquets orgiaques de mercenaires en passant par l'ambiguïté des sentiments d'Agnes envers son ravisseur. Face à l'insoutenable légèreté de notre finalité, les personnages de Verhoeven se perdent dans la satisfaction immédiate de leurs sens.
Ce parti pris narratif et esthétique atteint son apogée pendant la période hollywoodienne du cinéaste (1987-2000). Des jeunes soldats fascistes déchiquetés par les insectes dans Starship Troopers (1997) aux transformations graphiques du scientifique psychopathe de Hollow Man (2000), les moyens mis à la disposition de Verhoeven lui permettent littéralement de réduire ses protagonistes à de vulgaires amas de chairs et de sang. Pensons au classique de la science-fiction dystopique Robocop (1987). Celui-ci est un cyborg qui, par la chair, conserve un souvenir de son existence humaine, le rendant ainsi dysfonctionnel aux yeux de ses supérieurs.
Cette volonté de montrer les choses sans détour, ce souci de réalisme dans la monstration de la violence faite au corps, se retrouve également dans la façon qu'a Verhoeven de représenter le sexe. L'acte sexuel est souvent montré comme un combat, un champ de bataille où l'un des personnages doit vaincre et prendre le pouvoir. Le sexe devient un miroir du monde : cruel, dur, égoïste. D'une part, il y les nombreuses séquences de viols – un acte extrême de domination – filmés crûment, comme dans Flesh and Blood, Katie Tippel (1975), Spetters (1980) et Elle (2016). D'autre part, on ne compte plus chez Verhoeven le nombre de scènes où un protagoniste utilise son corps pour arriver à ses fins (Showgirls, 1995) ou encore établir sa supériorité (Basic Instinct, 1992).
Le corps est un humanisme
Malgré tout, même si Verhoeven affirme cyniquement que la destruction est le propre de l'univers dans lequel nous vivons, ses films sont empreints d'un certain humanisme. Si le bien et le mal ne sont jamais clairement définis chez lui, c'est parce qu'en bout de ligne tous ses personnages sont humains et que leurs choix sont indissociables du contexte dans lequel ils évoluent. Ils sont simplement motivés par cet instinct animal de survie qui habite tous les êtres vivants sur terre. Ce faisant, ils peuvent être cruels, lâches, égoïstes. Face à ce triste constat, Verhoeven déstabilise le spectateur en lui tendant un miroir qui reflète avec ironie le monde qui l'entoure. Le rire côtoie le tragique, les vertus et les vices sont tributaires des circonstances, la barbarie et la beauté s'affrontent constamment. En opposant le sacré au profane, le spirituel au matériel, l'humour au drame, il va au-delà de l'apparent plaisir de choquer et exprime un profond désir de réfléchir à la condition humaine. Cela explique sûrement pourquoi son cinéma avait, au fil des années, été mal reçu ou insuffisamment pris au sérieux.
En attendant, Verhoeven persiste et signe : « C'est seulement en mettant à mal la vision faussement idéaliste que nous avons de nous-mêmes que nous pourrons comprendre qui nous sommes vraiment et à quel point nous pouvons être meilleurs. »2
Éric Falardeau
1. Nathan Réra, Au jardin des délices : Entretiens avec Paul Verhoeven (Rouge Profond, 2010)
2. Douglas Keesey, Paul Duncan (ed.), Paul Verhoeven (Taschen, 2005)
Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 14 juillet au 1 août 2021
Les films
- Basic Instinct Paul Verhoeven / États-Unis / 1991 Me 21 juil 19h00 Di 25 juil 19h00
- Black Book Paul Verhoeven / Pays-Bas, Belgique, Grande-Bretagne, Allemagne / 2005 Je 22 juil 21h30 Sa 31 juil 16h30
- Business is Business Paul Verhoeven / Pays-Bas / 1971 Sa 24 juil 15h00 Me 28 juil 21h45
- Chair et le Sang (La) Paul Verhoeven / Pays-Bas-États-Unis / 1985 Je 15 juil 21h15 Sa 24 juil 19h00
- Elle Paul Verhoeven / France-Allemagne-Belgique / 2015 Ve 23 juil 19h15 Di 1 aoû 19h45
- Fête (La) Paul Verhoeven / Pays-Bas / 1963 CM Di 25 juil 14h00 Ve 30 juil 22h00
- Floris Paul Verhoeven / Pays-Bas / 1969 Sa 17 juil 19h45 Sa 31 juil 19h30
- Homme sans ombre (L') Paul Verhoeven / États-Unis / 1999 Sa 24 juil 16h45 Lu 26 juil 21h45
- Infanterie de la Marine (L') Paul Verhoeven / Pays-Bas / [1965] CM Di 25 juil 14h00 Ve 30 juil 22h00
- Katie Tippel Paul Verhoeven / Pays-Bas / 1974 Me 28 juil 19h30 Di 1 aoû 15h00
- Lutteur (Le) Paul Verhoeven / Pays-Bas / [1970] CM Je 29 juil 22h00 Sa 31 juil 14h00
- Portrait d'Anton Adriaan Mussert Paul Verhoeven / Pays-Bas / 1968 Di 25 juil 14h00 Ve 30 juil 22h00
- Quatrième Homme (Le) Paul Verhoeven / Pays-Bas / 1982 Ve 16 juil 19h00 Sa 31 juil 21h30
- RoboCop Paul Verhoeven / États-Unis / 1987 Di 18 juil 20h30 Sa 24 juil 22h00
- Showgirls Paul Verhoeven / États-Unis / 1995 Me 21 juil 21h45 Lu 26 juil 19h00
- Soldier of Orange Paul Verhoeven / Pays-Bas / [1977] Ve 16 juil 21h00 Je 29 juil 19h00
- Spetters Paul Verhoeven / Pays-Bas / 1980 Me 14 juil 20h00 Ve 30 juil 19h30
- Starship Troopers Paul Verhoeven / États-Unis / 1997 Lu 19 juil 19h00 Di 1 aoû 16h30
- Total Recall Paul Verhoeven / États-Unis / 1989 Je 22 juil 19h00 Di 25 juil 16h30
- Turkish délices Paul Verhoeven / Pays-Bas / 1973 Je 15 juil 19h00 Ve 23 juil 22h00
- Un lézard de trop Paul Verhoeven / Pays-Bas / [1960] CM Je 29 juil 22h00 Sa 31 juil 14h00
- Voyageur (Le) Paul Verhoeven / Canada-États-Unis / 1983 CM Je 29 juil 22h00 Sa 31 juil 14h00
Rencontres et conférences

- Spetters Paul Verhoeven

- Le Quatrième Homme Paul Verhoeven
- Soldier of Orange Paul Verhoeven

- Floris Paul Verhoeven

- RoboCop Paul Verhoeven

- Starship Troopers Paul Verhoeven
- Rencontre avec Paul Verhoeven
- Basic Instinct Paul Verhoeven

- Showgirls Paul Verhoeven

- Soldier of Orange Paul Verhoeven
- Le Lutteur Paul Verhoeven CM
- Un lézard de trop Paul Verhoeven CM
- Le Voyageur Paul Verhoeven CM

- Spetters Paul Verhoeven
- La Fête Paul Verhoeven CM
- L'Infanterie de la Marine Paul Verhoeven CM
- Portrait d'Anton Adriaan Mussert Paul Verhoeven
Autour de l'événement

Basic Instinct
Version restaurée 4K
Le film culte et sulfureux de Paul Verhoeven pour la première fois en version restaurée 4K.
Sortie au cinéma et en Édition Limitée Steelbook UHD / 2 Blu-ray le 16 juin 2021 (Carlotta Films / Studiocanal)
Découvrir
Partenaires et remerciements
Ambassade des Pays-Bas, Royaume des Pays-Bas, Eye Filmmuseum, Carlotta Films, Cinémathèque Royale de Belgique, Eye Film Institute Netherlands, Harry Bos, Rob Houwer, Park Circus, Pathé Distribution, SBS Distribution, The Netherlands Institute for Sound and Vision, Walt Disney Company, Sandra den Hamer, Marleen Labijt.
Avec le soutien de l'ambassade des Pays-Bas

Avec le soutien du Eye Filmmuseum

En partenariat avec


