Figure essentielle du spectacle vivant européen dès les années 70, Patrice Chéreau signe son premier long métrage à trente ans, en 1974 (La Chair de l'orchidée). Durant toute sa brillante carrière de metteur en scène de théâtre et d'opéra, il poursuivra son rêve de cinéma, jusqu'au sommet que constitue La Reine Margot (1994).
À fleur de peau
Lorsqu'il signe en 1974 le premier des dix longs métrages qui composent sa filmographie, Patrice Chéreau est déjà, à moins de trente ans, reconnu comme ce prodigieux homme de théâtre qui ne cessera ensuite de s'affirmer. Et c'est bien par rapport au théâtre, avec et contre lui, qu'il construira dès lors aussi son parcours de cinéaste.
Il aura commencé, à l'écran, par « revisiter les classiques », le film noir avec La Chair de l'orchidée d'après James Hadley Chase, le cinéma français à thème et à vedette avec Judith Therpauve (1978) et Simone Signoret dans le rôle-titre.
Mais c'est avec L'Homme blessé (1983) que Chéreau ouvre une première voie originale, où la théâtralité (stylisation du jeu et des lumières, artifice des décors et du récit) et le réalisme du cinéma (présence physique des corps, des objets, de certains lieux) cherchent un point de fusion. Le film, qui révèle Jean-Hugues Anglade, propose une plongée intime et troublante, synchrone du Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès que Patrice Chéreau met en scène la même année au Théâtre des Amandiers de Nanterre dont il a pris la direction.
Au cœur de ce théâtre où il a fait bâtir des installations pouvant servir de plateaux de tournage et des ateliers pouvant travailler aussi bien pour la scène que pour l'écran, Chéreau a notamment créé une école d'acteurs, confiée à Pierre Romans. Avec ces élèves plus que prometteurs (Valeria Bruni-Tedeschi, Marianne Denicourt, Eva Ionesco, Agnès Jaoui, Bruno Todeschini, Laurent Grevil, Vincent Perez, Thibault de Montalembert, Marc Citti…), il invente une transposition radicalement cinématographique du Platonov de Tchekhov, Hôtel de France (1987). Le très injuste échec critique et commercial de ce film, qui mérite d'être aujourd'hui revu et réévalué, laissera Chéreau durablement meurtri.
Couvert de lauriers en France et dans le monde entier pour son travail au théâtre et à l'opéra, reconnu comme un artiste majeur de son temps, il revient au cinéma pour ses deux films les plus ambitieux. De l'adaptation de La Reine Margot (1994) d'Alexandre Dumas, il fait un somptueux brasier funèbre, la danse de mort de trois hommes (Daniel Auteuil, Jean-Hugues Anglade, Vincent Perez) autour de la reine sublime et souillée qu'incarne Isabelle Adjani. Convoquant les réminiscences d'une de ses mises en scène de jeunesse les plus remarquées, Massacre à Paris d'après Marlowe, comme les échos des massacres contemporains de Sarajevo et du Rwanda, le cinéaste explore les ressources propres au cinéma de la grande forme, potlatch de vedettes, de décors, de foules de figurants pour approcher un secret aussi sombre qu'intime. Il trouve ainsi un équivalent à l'écran de ses mises en scène les plus spectaculaires, exemplairement son inoubliable Ring à Bayreuth.
Apparemment aux antipodes – contemporain, mobile, introspectif, hétérogène – sera le non moins ambitieux Ceux qui m'aiment prendront le train (1998), qui explore de manière très différente d'autres échos et contrastes entre théâtre et cinéma. Du théâtre, on retrouve en effet la notion de troupe (composée cette fois de Charles Berling, Valeria Bruni-Tedeschi, Vincent Perez, Roschdy Zem, Dominique Blanc, Pascal Greggory, Bruno Todeschini, Olivier Gourmet…, tous à leur meilleur), de spectacle collectif dont Hôtel de France avait offert une première tentative. Et, dix ans après une mise en scène historique de Hamlet, il conçoit la figure du fantôme paternel par qui le drame (et aussi la comédie) arrivent, et qu'interprète magistralement Jean-Louis Trintignant. Mais les dimensions les plus marquantes sont ici ce qui n'est pas directement accessible au théâtre, le déplacement dans l'espace, à la fois mobilité du lieu (le train) et mobilité du cadre (la virtuose caméra portée d'Éric Gautier) et la proximité physique des corps, au plus près des gestes, des frémissements, des brutalités, des épuisements.
Les ressources de cette sensualité singulière qu'il trouve au cinéma est ce qu'explorera surtout Patrice Chéreau réalisateur avec ses quatre derniers films avant sa mort en 2013. Ce sera au moyen de films au format plus modeste, mais qui ouvrent davantage de visibilité à un de ses talents les plus éclatants, et une de ses passions déclarées, la direction d'acteur – lui qui aura été également acteur, chez Andrzej Wajda, Youssef Chahine, Raoul Ruiz et Michael Haneke notamment, même si sans doute jamais de manière aussi inoubliable que dans sa propre mise en scène de Dans la solitude des champs de coton. Il trouve des interprètes à la mesure de son ambition en se déplaçant à Londres pour Intimité (2000), quasiment un traité de jeu pour la caméra, exercice magnifié par Mark Rylance, Kerry Fox et Timothy Spall et renforcé par le travail sur la langue, et sur les matières d'une vie quotidienne sans éclat. La proximité physique, presque palpable, de la peau nue des comédiens, ou même la moquette de mauvaise qualité sur laquelle les deux personnages principaux font l'amour, peut servir d'exemple d'une symétrie pour l'écran avec les puissances sensorielles des imposants décors de bois ou de pierre conçus par Richard Peduzzi pour les plateaux scéniques de Chéreau durant des décennies.
Gabrielle (2005), huis clos qui est sans doute le retour le plus explicite de Chéreau à la théâtralité du fait de l'affichage de son artificialité, est surtout un défi et un cadeau à deux grands acteurs, Isabelle Huppert et Pascal Greggory. Alors que Son frère (2003), avec Bruno Todeschini et Éric Caravaca, et Persécution (2009) où on retrouve Jean-Hugues Anglade aux côtés de Romain Duris, peuvent être vus comme des variations sur les thèmes abordés dans L'Homme blessé, où les relations de désir, de rivalité et de tendresse entre hommes engendrent des spirales d'émotion, de violence et de sincérité.
Jean-Michel Frodon
Infos pratiques
Tarifs
- Plein tarif 7 €
- Tarif réduit 5,50 €
- Moins de 18 ans 4 €
- Carte Ciné Famille Adultes 5 €
- Carte Ciné Famille Enfants 3 €
- Libre Pass Gratuit
Formules d'abonnement
La Cinémathèque en illimité !
Carte amortie à partir de deux séances par mois.
Invitations et réductions pour toute la famille durant toute une année.
La Cinémathèque en illimité, à deux !
Nouveau
6 places de cinéma à utiliser en toute liberté, seul ou accompagné.
Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 16 au 28 novembre 2016
Les films
- Ceux qui m'aiment prendront le train Patrice Chéreau / France / 1997 Sa 19 nov 15h00 Ve 25 nov 20h00
- Chair de l'orchidée (La) Patrice Chéreau / France, République fédérale d'Allemagne, Italie / 1974 Je 17 nov 19h00 Ve 25 nov 14h30
- Gabrielle Patrice Chéreau / France-Italie-Allemagne / 2004 Sa 19 nov 21h45 Di 27 nov 20h00
- Homme blessé (L') Patrice Chéreau / France / 1982 Sa 19 nov 19h30 Ve 25 nov 17h00
- Hôtel de France Patrice Chéreau / France / 1986 Je 17 nov 21h30 Lu 21 nov 16h30
- Intimité Patrice Chéreau / France-Grande-Bretagne / 2000 Ve 18 nov 17h30 Lu 28 nov 16h30
- Judith Therpauve Patrice Chéreau / France / 1978 Di 20 nov 21h30 Lu 28 nov 14h00
- Persécution Patrice Chéreau / France / 2008 Di 20 nov 19h15 Sa 26 nov 20h00
- Reine Margot (La) Patrice Chéreau / France / 1993 Me 16 nov 20h00 Je 24 nov 19h30
- Son frère Patrice Chéreau / France / 2002 Je 17 nov 17h00 Di 20 nov 17h00
- Temps et la chambre (Le) Patrice Chéreau / France / 1992 Je 24 nov 17h00
Patrice Chéreau acteur
- Adieu Bonaparte Youssef Chahine / France-Egypte / 1985 Lu 21 nov 14h00
- Danton Andrzej Wajda / France, Pologne / 1982 Me 23 nov 20h00
- Lucie Aubrac Claude Berri / France / 1996 Me 23 nov 17h00
- Temps du loup (Le) Michael Haneke / France, Autriche / 2002 Di 20 nov 14h30
Rencontres et conférences

- La Reine Margot Patrice Chéreau
- Son frère Patrice Chéreau
- La Chair de l'orchidée Patrice Chéreau

- Hôtel de France Patrice Chéreau

- Intimité Patrice Chéreau

- Le Temps et la chambre Patrice Chéreau
- La Reine Margot Patrice Chéreau
- La Chair de l'orchidée Patrice Chéreau

- L'Homme blessé Patrice Chéreau
- Ceux qui m'aiment prendront le train Patrice Chéreau

- Persécution Patrice Chéreau

- Gabrielle Patrice Chéreau
Autour de l'événement

Patrice Chéreau à l'œuvre
Beau livre
sous la direction de Marie-Françoise Lévy et Myriam Tsikounas
avec le concours de Julien Centrès, Guillaume Scaillet et Marguerite Vappereau.
Avec le concours de l'université Paris 1, du CNRS, de La Cinémathèque française, du Piccolo Teatro, des archives départementales des Hauts-de-Seine
et au Théâtre Amandiers-Nanterre et à l'Odéon Théâtre de l'Europe.
Beau-Livre illustré couleurs et N & B / 22 x 28 cm – 432 p. / 39 €
Sortie en librairie le 4 novembre 2016
Patrice Chéreau en son temps
Des manifestations culturelles et scientifiques pour éclairer le parcours de Patrice Chéreau, revisiter son œuvre et comprendre son rayonnement.
Exposition Patrice Chéreau à l'œuvre. Années de jeunesse
Du 12 novembre au 11 décembre 2016, lycée Louis-le-Grand
Entrée libre
Colloque Patrice Chéreau en son temps
17-18 novembre 2016, Maison de la recherche
Entrée libre
> Blog officiel
Les Bibliothèques de l'Odéon : Patrice Chéreau à l'œuvre
21 novembre 2016, Odéon – Théâtre de l'Europe
Séminaire Patrice Chéreau et les nouvelles théâtralités
3 décembre 2016, Théâtre Nanterre-Amandiers
Entrée libre
Découvrir
Partenaires et remerciements
Remerciements : Arte, BAC films, Gaumont, Les Films du Losange, Mars Distributio, Pathé Distribution, Pyramide distribution, Tamasa Distribution, TF1 Droits Audiovisuels, Jean-Marie Charuau, Christophe Jung, Bernard Verley, Myriam Tsikounas, Marie-Françoise Levy, Marguerite Vappereau.
