Parlons cinéma avec... Patric Chiha
Du 3 au 24 avril 2025
« Ce qu'il y a de plus profond dans l'homme, c'est la peau. » Cette phrase célèbre de Paul Valéry me parle de cinéma, car le cinéma est bien une affaire de peau : on la maquille, on l'éclaire, on s'en approche jusqu'au très gros plan, on l'étalonne, on la projette... On ne filme que de la peau et les frémissements à sa surface. Mais je crois que la caméra enregistre encore autre chose, de plus mystérieux, d'invisible. Elle donne forme à cet espace immatériel qu'il y a entre deux personnes, ou entre une personne et le monde, ou entre une personne et celle qui la filme. C'est peut-être cela la mise en scène : donner forme à cet espace entre. Dans les beaux films, ces espaces prennent des formes surprenantes, insoupçonnables et indescriptibles. Mais, en même temps, des formes reconnaissables. Je les découvre et les reconnais dans un même mouvement. Assis dans la salle obscure, j'attends alors patiemment que l'une ou l'autre personne décide de transpercer cet espace, que l'une avance vers l'autre... et que finalement l'une touche l'autre. Le cinéma est peut-être d'abord un art du toucher, ou, si l'on est plus mélancolique, un art de l'impossibilité de toucher. — Patric Chiha
Patric Chiha est cinéaste. Il réalise plusieurs courts et moyens métrages, dont Les Messieurs (documentaire, 2005) et Home (2006), puis, en 2009, son premier long métrage, Domaine, avec Béatrice Dalle. Suivent Boys Like Us (2014) et les documentaires Brothers of the Night (2016) et Si c'était de l'amour (2020). La Bête dans la jungle (2023), son cinquième long métrage, adapté de la nouvelle du même titre de Henry James (parue en 1903), est une tentative de capter toute une vie d'attente dans une boîte de nuit, où défilent les époques et les gestuelles de danseurs, de 1979 à 2004. « Si le désir de réaliser un film à partir de la nouvelle de Henry James m'est tombé dessus, c'est aussi parce que ce texte me parle de cinéma. Évidemment, j'ai pensé à nous, cinéastes, spectateurs, qui attendons quelque chose sur grand écran qui nous dépasserait, nous montrerait la vie autrement, nous permettrait d'atteindre un absolu. Bizarrement, moi-même, en tant que cinéaste, de film en film, j'ai l'impression d'être devenu de plus en plus spectateur. Je suis "aux aguets", comme c'est dit dans le roman, je fais attention aux surprises, à tout ce qui transcende le programme. »