Du 5 au 25 juillet 2021
Terra Incognita
De la comédie grivoise au récit horrifique sanglant, en passant par quelques bandes d’action débridées bien souvent mâtinées d’un brin de science-fiction, ou œuvres inclassables flirtant parfois avec le cinéma d’auteur le plus hermétique, ce sont des centaines de films qui vont, durant près de deux décennies, former la majorité de l’impressionnant corpus de ce que l’on nomme aujourd’hui l’ozploitation.
En 2008, le documentaire Not Quite Hollywood de Mark Hartley avait attiré l’attention sur tout un pan jusqu’alors trop peu étudié du cinéma australien, et posé les bases théoriques de l’ozploitation, tout en suscitant une impérieuse envie d’aller explorer la cinématographie en question. Cette rétrospective est l’occasion de passer à la pratique en empruntant une route furieusement enthousiasmante et jalonnée d’éclectiques raretés.
À la fin des années 60, l’Australie ne produit plus de longs métrages depuis quinze ans, et la possibilité même de l’existence d’un cinéma national ne suscite aucun intérêt auprès d’un public depuis longtemps accommodé aux productions anglaises et américaines qui monopolisent les écrans. Débarque alors une génération de cinéastes, formés pour la plupart à l’étranger, qui ne souhaite pas se contenter de courts métrages, de documentaires ou de travailler pour la télévision, et qui va profiter d’une série de lois favorables à la création artistique pour donner naissance à ce qui deviendra la Nouvelle Vague du cinéma australien.
Des débuts foisonnants
Outre la forte implication financière du gouvernement pour développer et soutenir la production, c’est surtout la création, en 1971, d’un système de classification des films par âge, avec l’inclusion d’une catégorie R pour ceux interdits aux mineurs, qui offre aux cinéastes la possibilité d’aborder tous les sujets sans aucune retenue.
C’est le début d’une prodigieuse décade de réappropriation territoriale par le biais de films audacieux, capables de distiller ce qui fait l’essence même du pays au cœur de leurs récits afin de mieux se connecter au public. Ainsi dans Oz, Dorothy n’est définitivement plus au Kansas, mais en chemin pour aller au concert de Wizard, accompagnée d’un trio d’archétypes australiens : un surfeur, un biker et un mécanicien. Au-delà de son intrigue, La Dernière Vague interroge sur la place laissée aux aborigènes dans la société moderne, et The FJ Holden dépeint le quotidien quasi apathique de la jeunesse d’une proche banlieue de Sydney. Cinéma australien et ozploitation ne font alors qu’un, et le public est aussi bien capable d’apprécier un drame rural intimiste que de propulser les (més)aventures sexuelles d’Alvin Purple et l’implacable vengeance de Max Rockatansky aux sommets du box-office. Mais d’autres films connaîtront des échecs cuisants, à l’image de Wake in Fright, dont la camaraderie outrancièrement virile renvoyait aux spectateurs une image trop juste de la réalité.
Gangrène financière et renaissance
En 1981, l’adjonction de la division 10BA à la loi de finance des films vient offrir aux investisseurs privés des avantages fiscaux inégalables, à savoir une déduction fiscale de 150% du placement et de 50% des éventuels bénéfices, ouvrant ainsi une porte à toutes les fenêtres. Le cinéma étant devenu le meilleur des placements, un nouveau type d’investisseurs se rue sur le marché.
Les budgets sont gonflés sur les contrats, tandis que sur le terrain producteurs et réalisateurs se retrouvent souvent à travailler avec des sommes en-deçà de leurs ambitions, et doivent réécrire leurs films au jour le jour. L’obligation légale de distribuer le film en salles est contournée par le biais d’une sortie technique dans un très faible parc, et avec un minimum de publicité. Le but des bailleurs de fonds est de bénéficier de substantielles réductions d’impôts, en évitant au maximum l’engrangement de bénéfices. Nombreux sont alors les films qui finissent sur une étagère sans avoir eu la chance de trouver leur public. Parfois, ces montages financiers opaques et complexes ont engendré un tel dédale juridique qu’il sera très difficile d’en démêler les nœuds, condamnant des films à rester longtemps invisibles, à l’image du pourtant excellent Montclare : rendez-vous de l’horreur, qui a également cumulé les aléas énoncés plus haut.
Très rapidement alarmé par la chute vertigineuse des recettes fiscales, le gouvernement achève en 1989 de ramener les avantages du 10BA à une norme acceptable, forçant les investisseurs privés à déserter l’industrie pour chercher d’autres placements plus juteux, tout en réorientant sa politique d’aide à la production vers des projets commercialement viables. Le cinéma de genre, boudé par les hautes instances, finit par perdre son originalité en calquant sa forme sur le modèle hollywoodien, et alimente dans les années 90, conjointement avec son cousin canadien, les réseaux câblés et le marché de la vidéo des États-Unis.
Bien que tarie par manque de liquidités, la vague de l’ozploitation ne s’est pas asséchée et quelques fulgurances jaillissent ponctuellement. Cut, qui voulait offrir au pays son slasher méta, est hélas arrivé trop tard sur le marché pour convaincre le public, au contraire du très efficace Wolf Creek, dont le succès a rappelé que le cinéma de genre australien pouvait encore en remontrer au reste du monde.
En 2015, dans son plus bel écrin, l’ozploitation revient sur le devant de la scène internationale lorsque Mad Max : Fury Road siffle la fin de la récréation en matière de blockbusters. Plus qu’une suite très attendue, le film est la relecture d’un passé glorieux auquel l’avenir tend les bras.
Éric Peretti