Quelque part en Europe
« La lutte. N’a-t-on pas l’habitude de la représenter avec des drapeaux largement déployés, des canons braquant leurs gueules, de la cavalerie ébranlant le sol, des masses de peuple soulevées ? Ce n’est pas de ce côté-là que viendra la victoire. Il faut la chercher ailleurs. »
Sergueï Eisenstein, La Ligne générale, 1929
Miklós Jancsó. Un nom à ce point enterré vivant qu’il a fallu attendre le jour de sa mort, en janvier 2014, pour se rendre compte qu’il existait encore avant de l’oublier à nouveau. Mais, un peu plus tard, une succession de faits rappelle Jancsó à l’actualité : la programmation décisive cette année à Cannes Classics des Sans-Espoir (1966), un ouvrage d’Émile Breton, et une programmation organisée par la jeune association Filmkollektiv Frankfurt dédiée à sa production internationale (La Pacifista, Vices privés, vertus publiques), accompagnée d’une publication.
Pourquoi Jancsó disparaît-il à ce point ? Entre 1990 et 2010, aucun de ses films n’a été distribué en Europe occidentale. Jancsó devient une référence cinéphile, de James Gray, Béla Tarr, à Martin Scorsese. Et pourtant, en parcourant la presse et l’édition de cinéma en France de la fin des années 1960, le cinéma de Jancsó est important, attendu, décortiqué, situé quelque part entre Antonioni et Bergman : les écrits de Georges Sadoul bien sûr (Panorama du cinéma hongrois, dès 1952), Jean-Pierre Jeancolas, Yvette Biró, Jean-Loup Passek, Henri Chapier, Jean-Louis Comolli et Michel Delahaye. Surtout, le cinéma de Jancsó est visible en salles, au festival de Cannes notamment (huit films en compétition entre 1966 et 1984, trois en section parallèle). En 1969, Janine Bazin et André S. Labarthe lui consacrent un épisode de la série « Cinéastes de notre temps ».
La carrière de Jancsó et la réception de ses films peuvent être considérées à bien des égards comme uniques. Sa filmographie (celle qu’il approuvera plus tard) commence en 1963, à l’âge de quarante-deux ans, avec le film Cantate. Durant les treize années précédentes, il fut contraint de tourner des actualités et courts métrages sous haute influence du réalisme socialiste. En seulement quelques années, il réussit à développer un style cinématographique immédiatement reconnaissable, et apprécié dans le monde entier : fluidité des mouvements de caméra, chorégraphies de plus en plus élaborées, conquête de l’espace et du temps filmiques. Les points d’orgue sont Sirocco d’hiver et Pour Electre, traversées de quatre-vingt minutes en seulement douze plans séquences. Sa réalisation repose sur deux bases opposées : la délimitation ferme de la déambulation des acteurs sur un plateau de tournage et une véritable passion pour l’improvisation – pour lui, il était important de créer une atmosphère où les acteurs seraient libres d’ajouter leur propre touche aux personnages. Pendant le tournage de ces longues prises, il criait et ordonnait sans cesse. Le montage consistait habituellement à choisir la meilleure des trois ou quatre prises, et de les raccorder ensemble. Pour la piste son, les dialogues étaient réécrits, l’ensemble postsynchronisé. Cette méthode de travail et ce langage cinématographique restent quasi inchangés durant ses quarante années de carrière. La renommée de Jancsó se développe à un moment où l’Occident s’enthousiasme pour les « Nouvelles Vagues » de l’Europe de l’Est : Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Pologne, voire celle créée par le dégel du cinéma soviétique. Vingt ans après la Seconde Guerre, après que le cinéma hongrois ait réintégré la scène mondiale avec le succès d’Un petit carrousel de fête de Zoltán Fábri (1956), Jancsó devient le représentant le plus éminent de la « Nouvelle Vague hongroise » – bien que cette appellation n’ait jamais vraiment existé –, avec István Szabó, Sándor Sára, Károly Makk. Jancsó a été considéré comme un véritable auteur, cinéaste d’un pays socialiste qui osa réfléchir sur la violence de l’État et l’inhumanité du pouvoir, en camouflant très vaguement ses sujets historiques. Réflexions sur l’oppression et le combat pour la liberté, ses films ont pour cadre majeur la puszta (plaine) et ont toujours été considérés comme très « authentiquement hongrois ». Pourtant, le langage filmique de Jancsó demeure universel. Bien qu’issues la plupart du temps de l’histoire hongroise, ses fictions audacieuses, pures analyses critiques des mécanismes du pouvoir, concernent tous les pays, tous les terrains politiques, et l’on peut comprendre leur impact sur une Europe au sortir des mouvements étudiants de 1968.
Pourquoi le cinéma de Jancsó est-il important ? Tout d’abord parce qu’il incarne une forme totale de liberté et une représentation unique de la lutte sous forme de conte, d’histoire imaginée, non écrite par les spécialistes ou historiens. Ses documentaires témoignent d’un intérêt social pour les minorités en danger. Les fictions de Jancsó utilisent l’histoire comme alibi, c’est une fausse route que de les limiter à une analyse répétée des révolutions hongroises réprimées de 1848 et 1956. Le sujet principal demeure toujours la relation entre oppresseurs et opprimés, de l’utilisation des mêmes méthodes, partout et à tout moment. L’équation simple est toujours de mise. Et c’est pour cette raison que certains motifs nous frappent par leur contemporanéité, nous « serrent à la gorge », pour reprendre l’expression de Gérard Mordillat. Jancsó convoque des icônes atemporelles : des prisonniers cagoulés qui marchent en rond dans une cour de prison (Les Sans-Espoir), des femmes seins nus martelant un texte libertaire et faisant front à un mur d’officiers (Psaume rouge), des enfants s’entraînant à tirer désespérément sur des cibles qu’ils ne connaissent pas (Sirocco d’hiver). Guantánamo Bay detention camp, Abu Ghraib, Femen et jihad. Nudité, uniforme, anonymat, pouvoir et humiliation. Mais surtout, tout comme le personnage central de Mon chemin (1965), ce qui lui importe, c’est comment incarner le point de vue d’un spectateur citoyen qui se demande de quel côté se placer.
Émilie Cauquy et Gary Vanisian
Infos pratiques
Tarifs
- Plein tarif 7 €
- Tarif réduit 5,50 €
- Moins de 18 ans 4 €
- Carte Ciné Famille Adultes 5 €
- Carte Ciné Famille Enfants 3 €
- Libre Pass Gratuit
Formules d'abonnement
La Cinémathèque en illimité !
Carte amortie à partir de deux séances par mois.
Invitations et réductions pour toute la famille durant toute une année.
La Cinémathèque en illimité, à deux !
Nouveau
6 places de cinéma à utiliser en toute liberté, seul ou accompagné.
Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 28 octobre au 30 novembre 2015
Les films
- Agnus dei Miklós Jancsó / Hongrie / 1970 Me 4 nov 19h30 Me 18 nov 14h30
- Ah, ça ira Miklós Jancsó / Hongrie / 1968 Je 5 nov 19h30 Di 22 nov 19h30
- Allegro Barbaro (Rhapsodie hongroise 2) Miklós Jancsó / Hongrie / 1978 Di 1 nov 21h30 Ve 20 nov 21h15
- Aube (L') Miklós Jancsó / France, Israël / 1985 Me 11 nov 19h00 Me 25 nov 19h30
- Cantate Miklós Jancsó / Hongrie / 1962 Sa 31 oct 15h00 Je 26 nov 19h00
- Cœur du tyran (Le) Miklós Jancsó / Hongrie-Italie / 1981 Di 8 nov 21h30 Di 22 nov 21h30
- Dieu marche à reculons Miklós Jancsó / Hongrie / 1990 Me 4 nov 21h30 Di 29 nov 19h30
- Étude (L') Georg Pintér / Hongrie / 1969 CM Je 29 oct 19h00
- Horoscope de Jésus-Christ (L') Miklós Jancsó / Hongrie / 1988 Sa 14 nov 19h30 Je 26 nov 21h00
- Lanterne du Seigneur à Budapest (La) Miklós Jancsó / Hongrie / 1998 Sa 14 nov 21h30 Sa 28 nov 21h00
- Mai rouge Miklós Jancsó / Hongrie / 1968 CM Je 5 nov 19h30 Di 22 nov 19h30
- Mon chemin Miklós Jancsó / Hongrie / 1964 Di 15 nov 19h00 Sa 21 nov 21h15
- Pour Electre Miklós Jancsó / Hongrie / 1974 Di 8 nov 19h00 Je 19 nov 21h30
- Psaume rouge Miklós Jancsó / Hongrie / 1971 Je 5 nov 21h30 Sa 21 nov 15h00
- Rhapsodie hongroise Miklós Jancsó / Hongrie / 1978 Di 1 nov 19h30 Ve 20 nov 19h00
- Rouges et blancs Miklós Jancsó / Hongrie / 1967 Sa 31 oct 19h30 Me 18 nov 21h30
- Saison des monstres (La) Miklós Jancsó / Hongrie / 1987 Me 11 nov 21h15 Me 25 nov 21h45
- Sans-Espoir (Les) Miklós Jancsó / Hongrie / 1965 Me 28 oct 20h00 Me 18 nov 19h30
- Silence et cri Miklós Jancsó / Hongrie / 1967 Sa 31 oct 21h45 Je 19 nov 19h30
- Sirocco d'hiver Miklós Jancsó / Hongrie-France / 1969 Je 29 oct 19h00 Sa 21 nov 19h30
Documentaires de Miklós Jancsó
- Derkovitz Miklós Jancsó / Hongrie / 1959 CM Me 4 nov 14h30 Sa 28 nov 14h30
- Deuxième présence Miklós Jancsó / Hongrie / 1978 CM Me 4 nov 14h30 Sa 28 nov 14h30
- Immortalité Miklós Jancsó / Hongrie / 1959 CM Di 15 nov 21h15 Di 29 nov 21h30
- Moisson dans la coopérative Dózsa Miklós Jancsó / Hongrie / 1953 CM Me 4 nov 14h30 Sa 28 nov 14h30
- Place des héros (La) Miklós Jancsó / Hongrie / 1997 Di 15 nov 21h15 Di 29 nov 21h30
- Premier mai Miklós Jancsó / Hongrie / 1952 CM Me 4 nov 14h30 Sa 28 nov 14h30
- Présence (La) Miklós Jancsó / Hongrie / 1965 CM Me 4 nov 14h30 Sa 28 nov 14h30
- Restes Miklós Jancsó / Hongrie / 1993 CM Di 15 nov 21h15 Di 29 nov 21h30
- Troisième présence Miklós Jancsó / Hongrie / 1986 CM Me 4 nov 14h30 Sa 28 nov 14h30
- Un automne à Badacsony Miklós Jancsó / Hongrie / 1954 CM Me 4 nov 14h30 Sa 28 nov 14h30
- Une aventure indienne Miklós Jancsó / Hongrie / 1961 CM Me 4 nov 14h30 Sa 28 nov 14h30
Autour de Miklós Jancsó
- Avec une caméra à Kostorma Zsolt Kezdi-Kovacs / Hongrie / 1967 CM Ve 30 oct 19h30 Sa 7 nov 19h00
- Cinéma hongrois 1 : Miklós Jancsó Jean-Louis Comolli / France / 1969 Je 12 nov 21h30 Sa 28 nov 19h30
- Étude (L') Georg Pintér / Hongrie / 1969 CM Ve 30 oct 19h30 Sa 7 nov 19h00
- Une coproduction hungaro-soviétique Iván Forgács, Sebestyén Kodolányi / Hongrie / 2011 Ve 30 oct 19h30 Sa 7 nov 19h00
Rencontres et conférences

- Les Sans-Espoir Miklós Jancsó

- Sirocco d'hiver Miklós Jancsó
- L'Étude Georg Pintér CM
- Dialogue avec János Kende et Marina Vlady
- Premier mai Miklós Jancsó CM
- Moisson dans la coopérative Dózsa Miklós Jancsó CM
- Un automne à Badacsony Miklós Jancsó CM
- Une aventure indienne Miklós Jancsó CM
- Derkovitz Miklós Jancsó CM
- La Présence Miklós Jancsó CM
- Deuxième présence Miklós Jancsó CM
- Troisième présence Miklós Jancsó CM
- Agnus dei Miklós Jancsó

- Dieu marche à reculons Miklós Jancsó
- Ah, ça ira Miklós Jancsó
- Mai rouge Miklós Jancsó CM

- Psaume rouge Miklós Jancsó

- Qui êtes-vous Miklós Jancsó ? Conférence d'Émilie Cauquy
- Cinéma hongrois 1 : Miklós Jancsó Jean-Louis Comolli
- Agnus dei Miklós Jancsó
- Les Sans-Espoir Miklós Jancsó

- Rouges et blancs Miklós Jancsó
- Rhapsodie hongroise Miklós Jancsó

- Allegro Barbaro (Rhapsodie hongroise 2) Miklós Jancsó

- Premier mai Miklós Jancsó CM
- Moisson dans la coopérative Dózsa Miklós Jancsó CM
- Un automne à Badacsony Miklós Jancsó CM
- Une aventure indienne Miklós Jancsó CM
- Derkovitz Miklós Jancsó CM
- La Présence Miklós Jancsó CM
- Deuxième présence Miklós Jancsó CM
- Troisième présence Miklós Jancsó CM
- Cinéma hongrois 1 : Miklós Jancsó Jean-Louis Comolli
- La Lanterne du Seigneur à Budapest Miklós Jancsó
-
14h30
- Premier mai Miklós Jancsó CM
- Moisson dans la coopérative Dózsa Miklós Jancsó CM
- Un automne à Badacsony Miklós Jancsó CM
- Une aventure indienne Miklós Jancsó CM
- Derkovitz Miklós Jancsó CM
- La Présence Miklós Jancsó CM
- Deuxième présence Miklós Jancsó CM
- Troisième présence Miklós Jancsó CM
-
19h30
- Agnus dei Miklós Jancsó
-
21h30
- Dieu marche à reculons Miklós Jancsó
-
14h30
- Premier mai Miklós Jancsó CM
- Moisson dans la coopérative Dózsa Miklós Jancsó CM
- Un automne à Badacsony Miklós Jancsó CM
- Une aventure indienne Miklós Jancsó CM
- Derkovitz Miklós Jancsó CM
- La Présence Miklós Jancsó CM
- Deuxième présence Miklós Jancsó CM
- Troisième présence Miklós Jancsó CM
-
19h30
- Cinéma hongrois 1 : Miklós Jancsó Jean-Louis Comolli
-
21h00
- La Lanterne du Seigneur à Budapest Miklós Jancsó
Autour de l'événement
En salles
Les Sans-Espoir en version numérique restaurée, distribué par Clavis Films. En salles le 11 novembre 2015.
Découvrir
Partenaires et remerciements
Balázs Ablonczy, Carmen Accaputo, Judit Baranyai, József Böjte, Clavis Films, Eva Deli, Eszter Fazekas, Fondazione Cineteca di Bologna, Camille Fraisse, Gát György, Hungarian National Digital Archive and Film Institute-Manda (Magyar Nemzeti Digitális Archívum és Filmintézet), Institut hongrois de Paris, Abel Palos, György Raduly, André Schäublin, Dorottya Szörényi, Gary Vanisian.
Avec le soutien de



En partenariat média avec :
