Michael Caine
Du 29 septembre au 30 octobre 2005
Le dandy des faubourgs
Maurice Micklewhite est né à Londres en 1933 dans un milieu modeste. Adolescent, il s'inscrit à un cours de théâtre pour y suivre une jeune fille qu'il aime. La romance tourne court, et c'est finalement du théâtre qu'il tombe amoureux.
Il devient aspirant comédien, participe à des tournées théâtrales. Cinéphile convaincu, il change son nom pour celui de Michael Caine en s'inspirant du film Ouragan sur le Caine (1954). Sa carrière de comédien se poursuit dans plus de cent films pour la télévision (dont des adaptations de Shakespeare), dans quelques films au cinéma, puis un rôle marquant lance sa carrière : le film Zoulou de Cy Endfield. Paradoxalement, c'est le rôle d'un officier tout ce qu'il y a de plus british, raide et compassé, qui lance ce cockney (équivalent du titi parisien). Rôle dont il faillit être évincé par les producteurs qui n'appréciaient pas sa façon de jouer les bras dans le dos, et que l'acteur avait inventée pour s'ajouter de la prestance.
Michael Caine participe ensuite à la vague de films d'espionnage des années soixante. Harry Salzman, producteur à succès des James Bond, d'après Ian Fleming, avec Sean Connery, décide de produire son antithèse : les aventures de l'espion sans nom inventé par l'écrivain Len Deighton, dont le premier épisode sera Ipcress, danger immédiat (Sidney J. Furie, 1965). Il confie le rôle à Michael Caine, qui, lors d'un brainstorming, baptisera le héros de la série écrite à la première personne Harry Palmer. Une fois de plus, l'acteur se choisit un nom. Et rencontre à nouveau le succès, ce qui entraînera deux suites au cinéma. Alfie le dragueur de Lewis Gilbert (1966) assoit définitivement sa réputation et montre l'étendue de sa palette de comédien. Ce personnage de dragueur de banlieue dépassé par l'amour, se tournant vers la caméra pour interpeller le spectateur et lui livrer ses états d'âme, remporte un grand succès et détaille un caractère original dans le cinéma anglais de l'époque, en pleine transformation.
Sa carrière est désormais lancée. Des outsiders de génie de Hollywood font appel à lui : Otto Preminger, André de Toth, Robert Aldrich. Il tourne aussi dans des productions de prestige, films de guerre à grand spectacle (La Bataille d'Angleterre, 1969), ou fresques moyenâgeuses (La Vallée perdue, 1971). Il produit la même année le premier film d'un réalisateur de télévision, Mike Hodges : La Loi du milieu (Get Carter). Il y trouve l'un de ses rôles les plus mémorables, celui de Jack Carter, gangster qui venge son frère dans le décor poisseux de Newcastle. Ce film, l'un des plus violents de sa carrière, rencontra les foudres de la critique à sa sortie et n'eut pas de succès. Sorti la même année que L'Inspecteur Harry de Don Siegel (pour qui il incarnera un autre personnage vengeur dans Contre une poignée de diamants, 1974), avec lequel il partage une brutalité inhabituelle du héros, il a depuis atteint le statut de film culte, en grande partie grâce à la prestation de Caine, toute de cynisme et de froideur contenue.
Sur le modèle de ces films de début de carrière, Michael Caine passe avec aisance et éclectisme des films à petit budget à des productions internationales, des deux côtés de l'Atlantique. Ses rôles se diversifient. Ses pairs ne s'y sont pas trompés, le récompensant de maints honneurs dont deux Oscars, pour Hannah et ses sœurs (Woody Allen, 1987) et L'Œuvre de Dieu, la part du Diable de Lasse Hallström (1999).
Le secret de son jeu et de sa longévité ? On peut parler de son regard, tantôt enfantin, fatigué ou implacable, et dont il joue ne maître. De son flegme ou de sa volubilité, aussi crédibles l'un que l'autre. De sa maîtrise de l'humour à froid qui donne une légèreté à ses personnages tragiques et de l'épaisseur à ses pantalonnades. De sa désinvolture apparente et de sa présence indubitablement minérale, qui le classe dans la famille des Gabin, Mitchum ou Eastwood. Un acteur du style de Michael Caine eût sans doute été impensable au temps de l'âge classique du cinéma. Les sentiments mêlés qui semblent définir le jeu de l'interprète principal de la série des Harry Palmer postulent en effet un rapport de type nouveau avec le public. Le regard, la froideur parfois sarcastique de son jeu, induisent désormais une forme inédite et post-moderne d'ironie. Michael Caine est le pur produit d'un âge de la perte de croyance, d'une incrédulité généralisée face à l'expression traditionnelle des émotions reproduite depuis toujours par le cinéma. Il est contemporain de l'affirmation d'une sorte de distanciation pop, et tout autant, paradoxalement, d'une brutalité froide, dénuée d'affect. Car les personnages incarnés par lui se méfient des sentiments et correspondent à une époque de héros déshumanisé ou de solitaires qui apprennent, comme l'agent secret de Contre une poignée de diamants, « à cacher ce qu'ils ressentent ».
Comme l'avait remarqué la critique new-yorkaise Pauline Kael, Michael Caine « ne nous montre pas la technique de l'acteur, mais nous laisse seuls, nous spectateurs, face aux sentiments du personnage. » C'est ce que l'acteur, pédagogue généreux, dit à de jeunes comédiens débutants dans sa remarquable master class : la caméra vous démasque et, en face d'elle, il ne faut pas « jouer », mais « être ».
Pierre d'Amerval et Jean-François Rauger