Grand directeur de la photographie, génial bricoleur d'effets spéciaux, Mario Bava signe sa première réalisation en 1959, inventant avec Le Masque du démon l'horreur gothique à l'italienne. Il persévère dans la voie du cinéma fantastique, puis donne naissance avec Six femmes pour l'assassin à une nouvelle manière de thriller. Il s'imposera, à l'intérieur d'un artisanat voué à la fabrication d'œuvres de commande et de films dits « de genre », comme un génie de la lumière, un poète de la couleur, un peintre inspiré des éléments eux-mêmes, donnant vie à une image métamorphique devenue le premier personnage de films baroques et déments. Inventeur d'un cinéma pulsionnel et libre, cruel et abstrait à la fois, avec des chefs-d'œuvre comme Danger, Diabolik, La Baie sanglante, L'Île de l'épouvante, Lisa et le diable, il est l'un des grands artistes solitaires et cachés de l'histoire du cinéma.
Le Rouge des origines
« Bien d'autres poètes ont senti la richesse métaphorique d'une eau contemplée, en même temps, dans ses reflets et dans sa profondeur. » (Gaston Bachelard)
Il arrive parfois que l'histoire du cinéma, tout comme les théories existantes ou les indices biographiques, ne parvienne pas à fournir les moyens qui permettraient la compréhension globale, totalisante, si une telle chose était possible, d'une œuvre. Lire celle de Mario Bava à travers le prisme des genres apparaît plus qu'insuffisant, illusoire et finalement totalement fallacieux. Vouloir la comprendre en se contentant d'examiner le contexte d'une évolution du cinéma italien depuis l'après-guerre serait une entreprise en partie vaine. Essayer de la replacer dans les catégories d'une histoire linéaire du cinéma qui serait passée du classicisme au maniérisme, puis au moderne, voire au postmoderne, serait prendre le risque d'une errance sans réponse. Il y a quelque chose de miraculeux dans l'idée que les structures du cinéma transalpin d'après-guerre aient pu rendre possible l'existence d'une œuvre comme celle de Mario Bava.
L'imaginaire contre le réel
Certes, généalogiquement et même biologiquement, Bava semble accompagner le destin d'une partie du cinéma italien qui s'opposait radicalement et idéologiquement à l'idée de réalisme. En reprenant les fonctions de son père, Eugenio Bava, lui-même directeur de la photographie et inventeur d'effets spéciaux ayant collaboré à quelques classiques du cinéma muet (Quo vadis ?, Cabiria), il semblait prolonger un art essentiellement dirigé vers l'imaginaire. Et ce prolongement prendra même l'allure de la résurgence d'une forme que l'on pensait périmée (le péplum), résurgence dont il sera à la fois le contemporain et l'un des responsables à la fin des années 1950. Dans ce conflit qui opposait les tenants d'un regard réaliste comme révolution esthétique et promesse d'émancipation sociale et ceux qui exaltaient un art de la fantaisie et de l'adaptation littéraire flamboyante, Bava semble se situer du coté des seconds, du côté de Riccardo Freda plutôt que de celui de Roberto Rossellini. Mais plus radicalement sans doute que l'auteur de L'Évadé du bagne, qui construisait ses films avec le maximum d'intensité réaliste à l'intérieur d'un monde inventé de toutes pièces, Bava se dirigera vers la fabrication d'un univers purement cérébral, détaché de toute référence à l'idée de nature, un maelström de pulsions et de sensations. Le geste figuratif cesse, dans son œuvre, d'être en contradiction avec l'abstraction la plus pure. L'usage de la couleur y déjoue tout naturalisme. C'est sans doute pour cela qu'il est impossible de penser l'œuvre de Bava autrement que comme celle d'un artiste solitaire et unique.
C'est en 1959, après être intervenu sur plusieurs productions dont il fut partiellement le metteur en scène (Les Vampires et Caltiki, le monstre immortel de Riccardo Freda, Les Travaux d'Hercule et Hercule et la reine de Lydie de Pietro Francisci) – en plus d'en être le chef opérateur, génial bricoleur capable parfois de sauver des projets douteux à vil prix – qu'il signe son premier film comme réalisateur. Dans Le Masque du démon, la mythologie gothique est profondément subvertie par une mise en scène faite de longs plans virtuoses, arabesques dévorant le genre de référence pour dessiner un monde en trompe-l'œil et en phase de putréfaction. La corruption de toute chose, l'auto-dévoration, fût-elle celle de la construction sociale de base qu'est la famille, devient un des mouvements qui va définir toute son œuvre, des Wurdalaks en 1963 (segment des Trois visages de la peur) aux Démons de la nuit (1978) en passant par L'Île de l'épouvante (1970) ou La Baie sanglante (1971).
L'image qui saigne
Mais l'œuvre de Bava abolit la figure humaine telle que le cinéma l'a construite depuis ses origines, jusqu'à faire du motif horrifique « hoffmannien » de l'objet qui s'anime, de la poupée qui prend vie, le principe même d'une méditation morbide. Les mannequins en osier de Six femmes pour l'assassin se confondent presque avec des personnages animés s'en distinguant par la pulsion brute qui les meut jusqu'à l'autodestruction. Du héros de Duel au couteau qui trompe ses ennemis avec un épouvantail – une réplique de lui-même en paille –, jusqu'aux grandes poupées manipulées par le diable lui-même dans Lisa et le diable, véritable manifeste poético-théorique, le corps est devenu objet, une transmutation qui est celle produite par la mort.
L'image elle-même est au centre du cinéma de Mario Bava. Non pas comme un référent qui aurait doublé et remplacé le réel ou qui aurait engendré de nouvelles images, mais comme un organisme doté d'une vie autonome. L'œuvre de l'auteur de Danger, Diabolik ne peut se réduire, en effet, à une lecture maniériste, postmoderne, construite sur la mémoire du spectateur lui-même, sur l'idée que les simulacres se sont substitués soit à la réalité, soit à d'autres simulacres. Elle participe d'une véritable organicité de l'image, une image indécise, vacillante, liquide, une image qui saigne. L'usage du zoom, des effets de focales, du flou, ne procède pas d'une volonté « moderne » d'imprécision et d'inachèvement, mais du retour vers un chaos originel dont on n'a peut-être pas encore élucidé le secret.
Jean-François Rauger
Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 3 au 28 juillet 2019
Les films
- Arizona Bill Mario Bava / Italie-France / 1964 Me 10 juil 21h00 Je 25 juil 17h00
- Baie sanglante (La) Mario Bava / Italie / 1971 Je 11 juil 21h00 Sa 27 juil 21h30
- Baiser macabre Lamberto Bava / Italie / 1980 Ve 26 juil 21h30
- Baron vampire Mario Bava / Italie-République fédérale d'Allemagne / 1971 Je 11 juil 17h00 Me 17 juil 19h30
- Bataille de Marathon (La) Jacques Tourneur / Italie-France / 1959 Je 4 juil 17h00 Me 24 juil 19h00
- Caltiki, le monstre immortel Robert Hampton / Italie / 1959 Di 21 juil 15h00
- Cani arrabbiati Mario Bava / Italie / 1974 Ve 12 juil 22h00 Sa 27 juil 17h15
- Corps et le fouet (Le) John M. Old / Italie-France / 1963 Je 11 juil 19h00 Sa 20 juil 19h45
- Danger vient de l'espace (Le) Paolo Heusch / Italie-France / 1958 Me 10 juil 19h00 Me 24 juil 17h00
- Danger, Diabolik Mario Bava / Italie-France / 1967 Sa 13 juil 21h30 Lu 22 juil 21h45
- Démons de la nuit (Les) Mario Bava / Italie / 1977 Sa 20 juil 21h45 Di 28 juil 19h30
- Dollars du Nebraska (Les) Mario Bava / Espagne-Italie / 1966 Sa 13 juil 15h00 Ve 26 juil 15h00
- Dr. Goldfoot and the Girl Bombs Mario Bava / Italie-Etats-Unis / 1966 Je 25 juil 21h30
- Duel au couteau John Hold / Italie / 1966 Di 21 juil 19h30 Je 25 juil 15h00
- Espion qui venait du surgelé (L') Mario Bava / Italie-Etats-Unis / 1966 Sa 13 juil 17h00
- Esther et le roi Raoul Walsh, Mario Bava / Italie-Etats-Unis / 1960 Sa 20 juil 15h00 Me 24 juil 21h00
- Fille qui en savait trop (La) Mario Bava / Italie / 1962 Di 7 juil 21h45 Ve 19 juil 19h00
- Hercule contre les vampires Mario Bava / Italie / 1961 Sa 6 juil 22h00 Je 18 juil 19h00
- Hercule et la reine de Lydie Pietro Francisci / Italie-France / 1958 Lu 15 juil 17h30
- Île de l'épouvante (L') Mario Bava / Italie / 1970 Ve 5 juil 21h30 Ve 12 juil 19h30
- Inferno Dario Argento / Italie / 1979 Ve 19 juil 21h00
- Lisa et le diable Mario Bava / Italie-République fédérale d'Allemagne-Espagne / 1972 Di 14 juil 19h45 Di 28 juil 15h00
- Maison de l'exorcisme (La) Mario Bava, Alfredo Leone / Italie-Espagne-République fédérale d'Allemagne / 1975 Di 14 juil 21h45 Di 28 juil 17h15
- Masque du démon (Le) Mario Bava / Italie / 1960 Sa 6 juil 19h45 Di 21 juil 17h00
- Mille et une nuits (Les) Mario Bava / Italie, France / 1961 Di 14 juil 15h00 Sa 27 juil 15h00
- Operazione paura Mario Bava / Italie / 1966 Sa 13 juil 19h30 Lu 22 juil 19h30
- Planète des vampires (La) Mario Bava / Italie-Espagne / 1965 Di 21 juil 21h30 Je 25 juil 19h30
- Quante volte... quella notte Mario Bava / Italie-République fédérale d'Allemagne / 1969 Me 17 juil 21h45 Ve 26 juil 17h00
- Roy Colt et Winchester Jack Mario Bava / Italie / 1969 Ve 12 juil 17h00 Me 17 juil 17h30
- Ruée des vikings (La) Mario Bava / Italie-France / 1961 Di 7 juil 19h45 Je 18 juil 21h00
- Six femmes pour l'assassin Mario Bava / Italie-France-République fédérale d'Allemagne / 1964 Sa 6 juil 14h30 Sa 20 juil 17h30
- Travaux d'Hercule (Les) Pietro Francisci / Italie / 1957 Ve 26 juil 19h00
- Trois visages de la peur (Les) Mario Bava / Italie-France / 1963 Me 3 juil 20h00 Sa 27 juil 19h30
- Une hache pour la lune de miel Mario Bava / Italie / 1970 Di 14 juil 17h30 Lu 22 juil 17h00
- Vampires (Les) Riccardo Freda, Mario Bava / Italie / 1956 Me 10 juil 17h00 Me 24 juil 14h30
- Venere d'Ille (La) Mario Bava, Lamberto Bava / Italie / 1978 Di 28 juil 21h30
Rencontres et conférences

- La Bataille de Marathon Jacques Tourneur
- Mario Bava : l'image qui saigne Conférence de Jean-François Rauger

- L'Île de l'épouvante Mario Bava
- Les Vampires Riccardo Freda, Mario Bava

- Le Danger vient de l'espace Paolo Heusch
- Arizona Bill Mario Bava
- Baron vampire Mario Bava

- Le Corps et le fouet John M. Old
- La Baie sanglante Mario Bava

- Roy Colt et Winchester Jack Mario Bava
- L'Île de l'épouvante Mario Bava
- Cani arrabbiati Mario Bava

- Hercule et la reine de Lydie Pietro Francisci
- Roy Colt et Winchester Jack Mario Bava

- Baron vampire Mario Bava
- Quante volte... quella notte Mario Bava

- Hercule contre les vampires Mario Bava
- La Ruée des vikings Mario Bava
- Une hache pour la lune de miel Mario Bava
- Operazione paura Mario Bava

- Danger, Diabolik Mario Bava
- Les Vampires Riccardo Freda, Mario Bava

- Le Danger vient de l'espace Paolo Heusch
- La Bataille de Marathon Jacques Tourneur
- Esther et le roi Raoul Walsh, Mario Bava
- Duel au couteau John Hold
- Arizona Bill Mario Bava

- La Planète des vampires Mario Bava
- Dr. Goldfoot and the Girl Bombs Mario Bava
- Les Dollars du Nebraska Mario Bava
- Quante volte... quella notte Mario Bava

- Les Travaux d'Hercule Pietro Francisci
- Baiser macabre Lamberto Bava
Découvrir
Partenaires et remerciements
Remerciements particuliers à Vincent Dupré.
Archivio Cinema italiano, Cinémathèque 16, Cinémathèque de Grenoble, Classic films, Films sans Frontières, Fondazione Cineteca di Bologna, Istituto Cinematografico dell'aquila, les Bookmakers, Rai Teche, Théâtre du Temple, Werkstattkino, Studiocanal.

