Les histoires de René Allio

Du 6 novembre au 1 décembre 2013

René Allio, un itinéraire singulier

Né à Marseille en 1924, René Allio s’essaie à la peinture dès 1948. Comme ses immenses toiles, non figuratives, relevant du tachisme, lui assurent un succès d’estime mais ne lui permettent pas de vivre, il devient, parallèlement, costumier et décorateur de théâtre. Il travaille d’abord pour Le Galion d’or, la troupe marseillaise d’André Rosch, ensuite pour André Reybaz et Jacques Mauclair qui montent à Paris des pièces d’avant-garde dans des petites salles de la rive gauche. En 1957, René Allio rencontre Roger Planchon pour lequel il va concevoir durant onze ans, au théâtre de la Cité de Villeurbanne, les costumes et décors de dix spectacles où le répertoire classique français et étranger se mêle aux auteurs contemporains. Dans le même temps, il est demandé à la Comédie-Française, au TNP et au Théâtre municipal de Strasbourg. Il est également réclamé par de grands dramaturges européens. Ce travail scénique amène René Allio à s’intéresser à l’architecture théâtrale, à la modulation de l’espace et de la distance entre comédiens et spectateurs en fonction des différentes dramaturgies. En 1962 il rejoint l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture (AUA) pour réaliser la maquette d’une Maison de la Culture, transformer la salle des fêtes d’Aubervilliers en Théâtre de la Commune (1964), dessiner, avec Paul Chemetov et Jean Deroche, le théâtre en plein air d’Hammamet (1964), réaménager le théâtre Sarah Bernhardt, rebaptisé Théâtre de la Ville (1967).

Mais René Allio qui, depuis le mitan des années cinquante, s’interroge sur la façon de « traduire le temps par l’espace », se passionne également pour le cinéma. Il débute en 1961 par la création de brefs dessins d’animation qui ponctuent la représentation des Âmes mortes au Théâtre de la Cité. Il réalise ensuite le court métrage La Meule (1962). Deux ans plus tard, il signe La Vieille dame indigne, film adapté d’une nouvelle de Bertolt Brecht, qui le révèle au grand public. Il ne cesse plus dès lors de travailler pour le cinéma et la télévision, tournant majoritairement des fictions mais aussi des documentaires (Jean Vilar, quarante ans d’Avignon 1947-1987, 1987 ; Marseille ou la vieille dame indigne, 1991) et des oeuvres inclassables comme L’Heure exquise (1981) dans laquelle il livre, en mêlant reconstitutions, images fixes et mobiles, ses souvenirs familiaux.

Des apports majeurs

René Allio fut incontestablement l’homme de la décentralisation, théâtrale mais aussi cinématographique. Après avoir contribué, aux côtés de Roger Planchon, à développer l’art dramatique en région, il impose, en 1979, l’ouverture d’un Centre Méditerranéen de Création Cinématographique (CMCC) qui a permis, en moins de cinq ans, la réalisation de soixante-cinq projets et l’émergence de talents tels Jean-Pierre Denis, Robert Guédiguian ou Jean-Henri Roger. René Allio fut également tout au long de sa carrière l’artisan des décloisonnements artistiques et disciplinaires. Dans tous ses films, il réunit volontairement comédiens de théâtre, de cinéma et de télévision. Dans sa première fiction historique, Les Camisards, il laisse se confronter devant la caméra des comédiens de théâtre issus de troupes aux traditions tout autres : compagnie des spectacles de l’étang de Berre, du Centre dramatique du Nord… Sur ce tournage, René Allio expérimente également la rencontre entre acteurs professionnels et non professionnels qu’il systématisera, six ans plus tard, dans Moi, Pierre Rivière pour opposer le monde paysan aux élites.

L’originalité du réalisateur consiste aussi à travailler indifféremment et sans a priori pour le cinéma et la télévision. Dans ses fictions historiques, le cinéaste conçoit directement les films à partir de travaux historiques qui l’ont intéressé, particulièrement ceux qui tentent de retrouver la parole des « gens de peu ». Il coécrit avec Jean Jourdheuil Les Camisards après avoir découvert Les Journaux camisards de Philippe Joutard. Il décide de réaliser Moi, Pierre Rivière… après la lecture du « Dossier Pierre Rivière » établi par Michel Foucault et son équipe. René Allio a, en effet, réussi, en exploitant au maximum les potentialités du langage cinématographique, à être un passeur d’Histoire. Pour lui, ce qui survit du passé, c’est l’espace. Le meilleur moyen de faire voyager le spectateur dans le temps consiste donc à tourner dans des paysages bien connus, comme ceux de Marseille, des Cévennes et de la banlieue parisienne, ou devenus familiers à force de sillonner la région pour effectuer des repérages, tels l’Allier ou le bocage normand. Il suffit ensuite de faire jouer sur ces lieux des hommes et des femmes qui ont vécu à proximité de l’endroit où s’était jadis produit le drame ; ils sauront, en réactivant la mémoire collective, effectuer les gestes, réinventer les rythmes, retrouver les intonations, les accents et le phrasé de leurs ancêtres. Mais la mise en scène n’est pas tout. Pour que le public tout à la fois se passionne pour ce passé reconfiguré et n’y projette pas des préoccupations actuelles, René Allio joue sur des effets de montage visuel et sonore. Pour transformer une simple chronique ou un fait-divers en tragédie, le cinéaste modifie également l’ordre du récit, revenant, par exemple sur l’errance de Pierre Rivière après son procès et sa condamnation, de façon à le métamorphoser en figure universelle, flottant hors crime et hors histoire.

Un cinéaste méconnu

Le choix de la peinture non figurative, la mise à nu des dispositifs scéniques au théâtre, la direction d’acteurs non professionnels au cinéma, l’écriture non naturaliste de l’Histoire et autres expérimentations audacieuses, expliquent que René Allio n’ait rencontré le grand public que par intermittence. Mais les raisons de son effacement doivent également être cherchées ailleurs. Dès les premiers échecs cinématographiques (L’Une et l’autre, 1967 ; Pierre et Paul, 1968), cette oeuvre exigeante a effrayé producteurs et financiers. De fait, Allio a dû travailler de façon de plus en plus artisanale. Sur chaque tournage, ses techniciens étaient polyvalents. Nicolas Philibert fut en même temps premier assistant, directeur de production, régisseur général et responsable de casting. Ce manque constant de moyens, s’il a obligé Allio à créer sa propre société de production - Polsim, en permanence dans le rouge -, lui a permis de faire un autre cinéma.

Myriam Tsikounas

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