Le cinéma fantastique français
Du 18 avril au 18 mai 2012
Le cinéma fantastique français
« Vive la jeune muse Cinéma car elle possède le mystère du rêve et permet de rendre l’irréalité réaliste. » (Jean Cocteau, 1959)
Le Fantastique est un genre que l’on n’associe guère spontanément à la production cinématographique en France. Quelles sont ses frontières ? A-t-il une esthétique propre ? Autant le genre existe en tant que tel dans les pays anglo-saxons, autant il est difficile d’en cerner les contours dans le paysage du cinéma français. Peut-être faut-il voir dans cette réticence la marque du cartésianisme ; bien qu’à travers les décennies, producteurs comme critiques et historiens lui aient souvent préféré les termes de « fantasmagorie », « féérie », « épouvante » ou « merveilleux », cette profusion typologique elle-même atteste de l’existence dans notre cinématographie de ces œuvres relevant peu ou prou de la définition forgée par Jean-Claude Romer : « On peut parler de Fantastique lorsque, dans le monde du réel, on se trouve en présence de phénomènes incompatibles avec les lois dites naturelles ».
Ce constat remonte aux débuts mêmes du Cinématographe, depuis qu’un enchanteur nommé Georges Méliès, dont nous verrons le sympathique Déshabillage impossible, eut la géniale intuition de tourner ce procédé nouveau vers l’illusion, et à proprement parler la magie. Diables et prestidigitateurs, fées et sorcières peuplent bon nombre des cinq cents films qu’il tourne en quinze ans, dans ses studios de Montreuil, et qui, pour le spectateur de l’époque, sont autant de merveilleux cauchemars. En donnant naissance au spectacle cinématographique, le propriétaire du Théâtre Robert-Houdin inventait dans le même geste la mise en scène et le genre fantastique.
Une définition du fantastique
Celui-ci, malgré cet ancrage précoce en France, met pourtant plusieurs décennies à dire son nom. Il faudra attendre l’orée des années soixante-dix, pour qu’un regard cinéphile singulier se pose sur lui et jette un pont entre le surréalisme et ce que l’on n’appelle pas encore le cinéma « bis », tout en relisant la politique des auteurs à la lumière de Mai 68 pour qu’il se constitue en « genre ». La mythique revue Midi-Minuit Fantastique, aujourd’hui disparue, tient une place prépondérante dans son développement. Midi-Minuit, c’est aussi le nom de la salle de cinéma parisienne qui, à la même époque, diffusa en version française les films venant des principaux pays (États-Unis, Grande Bretagne, Italie, Espagne) où le Fantastique est un véritable genre d’exploitation, un secteur en soi de l’industrie cinématographique locale. C’est enfin le titre d’un film culte de Pierre Philippe, longtemps invisible et qui trouve naturellement sa place dans ce cycle.
Cette veine proprement onirique naît donc avec Méliès, mais aussi Segundo de Chomón ou encore Gaston Velle, moins célèbre et dont les Archives françaises du film du CNC programment plusieurs œuvres. Il fait ses premières armes chez les frères Lumière pour lesquels il tourne la série des Vues fantasmagoriques et travaille ensuite pour Pathé où il réalise, entre autres, L’Écrin du Rajah, qui ne pourra que réjouir petits et grands. Parmi les autres grands noms présents dans cette programmation, citons Louis Feuillade avec La Fée des grèves, ou encore Albert Capellani et son Pied de mouton, féérie en dix tableaux, partiellement en couleur. Mais le genre trouve sa véritable origine dans la littérature, du conte au feuilleton populaire avec lesquels il traverse modes et courants. Le conte et ses thématiques sont récurrents du genre en France, comme en témoigne Le Petit Poucet, adapté par bon nombre de réalisateurs : l’un des premiers titres qu’il a inspirés remonte à 1909, le dernier à 2009. De même, Alice au pays des merveilles est présent ici avec un film de 1949, curiosité tournée avec le procédé couleur Anscocolor, et mêlant prises de vue réelles et animation. Quant aux sortilèges, pourquoi pas une plongée dans l’enfer du jeu avec deux des adaptations cinématographiques de La Dame de pique d’Alexandre Pouchkine, celle de Fédor Ozep en 1937 et celle de Léonard Keigel en 1965.
Un univers poétique peuplé d’êtres surnaturels
Pour qualifier les œuvres de ce cycle, il est sans doute plus pertinent de parler de « films français fantastiques » dont les dimensions surnaturelles, si elles servent le plus souvent à véhiculer un discours romantique ou parfois politique, constituent un fil rouge, discret mais qui ne se rompt pas. Dès les années vingt, le cinéma français voit surgir des œuvres morbides et cruelles (dont La Main, d’Edouard-Emile Violet, qui en fait une de ses spécialités), parfois des films se rapprochant de la bluette, mais dans l’ensemble, jusque dans les années soixante-dix, le cinéma français ne souvent néfastes, le cinéma français a préféré favoriser une esthétique poétique au travers d’êtres surnaturels. Les fantômes, fées et sorcières sont donc omniprésents à l’écran. Certains revenants sont plutôt attachants et sympathiques tel celui de Sylvie et le fantôme, la charmante comédie de Claude Autant-Lara. Grâce à lui, Sylvie peut ainsi prolonger son enfance et garder son innocence. Sans compter l’inoubliable Micheline Presle dans La Nuit fantastique de Marcel L’Herbier. Mais d’autres sèment la terreur, ainsi les personnages inquiétants du Manoir de la peur d’Alfred Machin ou le sorcier de Coïncidences de Christian-Jaque. Les sorcières peuvent être aussi des victimes et connaître une fin tragique, telle Marina Vlady, dont c’est le premier rôle au cinéma, dans La Sorcière d’André Michel, dont le cinéaste a également tourné une fin heureuse à ce film qui sera projetée lors de la même séance.
Tous s’inscrivent dans un imaginaire marqué par les figures folkloriques du Mal que sont démons, revenants et autres créatures de l’au-delà. On peut raisonnablement penser que ce n’est pas le fait du seul hasard si c’est précisément à cet inconscient collectif que le cinéma des années noires de la Seconde Guerre mondiale offre de faire son retour. L’un des films les plus intéressants à cet égard reste Le monde tremblera de Richard Pottier, dont la folie du héros n’est qu’un prétexte pour aborder la montée du nazisme. Le film sera d’ailleurs censuré pendant l’Occupation. C’est également un film d’anticipation, puisque chacun peut y prévoir l’heure de sa mort, thème repris dans l’étrange Le Temps de mourir d’André Farwagi, où un homme découvre son assassinat prochain sur la bobine de film qu’il a trouvée. Peu de voyages interstellaires dans le cinéma français, mais l’un des pionniers du genre : le très kitsch Croisières sidérales d’André Zwobada en 1941, là encore prétexte pour s’évader de ce monde troublé…
Peurs primales et interdits en question
Au gré des époques, des films d’inspiration aussi différente que Le Testament du Docteur Cordelier (Jean Renoir) ou Les Créatures d’Agnès Varda, intègrent les éléments de la théorie psychanalytique qui, dans les mythes propres au genre, voit précisément certaines figures de « l’inquiétante étrangeté ». Ainsi en est-il de la double figure de Docteur Jekyll et de Mr Hyde, revisitée par l’effrayant Jean-Louis Barrault dans le film de Jean Renoir, ou Jean-Claude Pascal dans le méconnu Chevalier de la nuit de Robert Darène. Pour autant, toutes ces œuvres procèdent du même corpus de conventions qui régissent le Fantastique qui, comme tous les genres, constitue une promesse : quel que soit le mode choisi, le spectateur sera interpelé sur ses peurs les plus primales et ses interdits les plus profonds – rencontrer son double ou être confronté à l’image, enregistrée pour l’éternité, de sa propre mort. Formellement parlant, c’est du côté des surimpressions, flous, brouillards, diffusions de lumière, ralentis, dédoublement, apparitions et disparitions, cadrages insolites beaucoup plus que de celui des effets spéciaux qu’il faut aller chercher l’expression du merveilleux du rêve et de la féérie ou des tourments de l’âme. Certains voudront y voir le signe de productions financièrement peu dotées, nous préférons y lire des choix stylistiques suggérés par les univers explorés par les réalisateurs.
Enfin, certains films célèbres et représentatifs du Fantastique français sont absents de cette programmation. En effet il s’agissait pour nous de faire un choix parmi les œuvres présentes dans les collections des Archives françaises du film du CNC, et surtout de mettre en exergue quelquesunes d’entre elles oubliées, et non de dresser un panorama exhaustif. Cette programmation a pour but de proposer une promenade à travers un paysage méconnu du cinéma français qui recèle cette « beauté terrible » chère à André Pieyre de Mandiargues.
Archives Françaises du Film-CNC