Julie Delpy
Du 21 juin au 4 juillet 2021
Julie Delpy, l'anticonformiste
Née le 21 décembre 1969 à Paris, Julie Delpy a passé son enfance à regarder ses parents Albert Delpy et Marie Pillet jouer des pièces signées Copi, Arrabal ou Topor. Elle n'a que 14 ans lorsque Jean-Luc Godard la choisit pour le film Détective (1985), avant de la rappeler deux ans plus tard pour King Lear. Soit un début de parcours fulgurant. Elle est nommée pour le César du meilleur espoir féminin en 1987 pour Mauvais Sang de Leos Carax (tournage dont elle conservera des séquelles), puis en 1988 pour La Passion Béatrice de Bertrand Tavernier, dans lequel où elle interprète la fille de Bernard-Pierre Donnadieu, son premier grand rôle.
En quête d'ailleurs
La même année, elle écrit un scénario intitulé Le Devoir des morts, une version trash d'Alice au pays des merveilles. L'éditeur Christian Bourgois veut le publier, Alain Robbe-Grillet songe à donner l'avance sur recettes. Mais on lui reproche sa jeunesse. Pendant ce temps, Agnieszka Holland et Volker Schlöndorff la réclament, respectivement pour Europa, Europa et The Voyager, en 1991. Mais c'est Krzysztof Kieślowski, en bon amoureux des doubles vies, qui devient son maître à penser : non seulement il la dirige dans sa trilogie, Trois couleurs (Bleu, Blanc et Rouge), mais surtout il l'encourage à suivre des études de cinéma à l'université de New York. Il lui fait aussi une recommandation qu'elle n'oubliera pas : « Faites des films qui vous ressemblent ».
L'intuition du cinéaste polonais sera bonne, autorisant Julie Delpy à développer un tropisme anglo-saxon et à vivre sa vie ailleurs, aux États-Unis, dans la décennie des années 90 aux allures de tremplin extraordinaire. Tout ce qu'elle incarne se transforme en culte. Prenez Killing Zoe de Roger Avary (1994), où elle joue le rôle éponyme aux côtés de Jean-Hugues Anglade et Eric Stoltz. Ou encore Before Sunrise (1995), valse-hésitation sentimentale de Jesse l'Américain et Céline la Française, qui deviendra une trilogie du couple (Before Sunset en 2004 et Before Midnight en 2013), écrit avec son partenaire Ethan Hawke et le réalisateur Richard Linklater. La même année, le magazine Variety la cite comme la seule actrice française capable de réussir aux États-Unis, tandis qu'elle passe pour la première fois derrière la caméra pour son court métrage Blah Blah Blah. Intuitive, elle se dit que jouer peut être un véhicule parfait pour donner envie à des producteurs d'accepter ses scripts (que personne ne veut financer – son combat). Actrice, elle continuera donc à l'être, dans des films fantastiques, de l'indé pur et dur, et pour ses amis : c'est elle qui, dans Broken Flowers de Jim Jarmusch (2005), claque la porte, valise à la main, abandonnant Bill Murray à ses amours fanées. Et tant pis s'il a fallu refuser des projets comme Crash de David Cronenberg, son seul regret de rendez-vous manqué.
Se raconter soi pour raconter les autres
Comme personne ne l'aide, Julie Delpy prend les choses en main, envers et contre tous. En 2001, elle tourne son coup d'essai en DV en 24 heures, avec Looking for Jimmy. Et c'est non moins seule et déterminée qu'elle viendra défendre ce long fauché sur les plateaux télé. Il lui faut réaliser, comme un besoin impérieux, se mettre en scène, parler de soi pour parler aux autres. Avec Two Days in Paris, deux ans plus tard et un an après avoir monté sa société de productions, Tempête sous un crâne, elle chope l'air du temps. Une escapade parisienne pour couple franco-américain où elle se met en scène avec Adam Goldberg, rencontré sur True Love (1999), moquant les us et coutumes franco-français et traduisant les frustrations inhérentes à la vie à deux. Les critiques évoquent Woody Allen, mais c'est bien son style à elle, sa constellation de névroses, son goût des mélanges explosifs : le cinéma d'auteur et le popu trivial, la familiarité de l'autofiction et l'universalité de doutes face au monde, le questionnement intime versus la géopolitique.
Ses films suivants confirmeront toutes ces obsessions en empruntant d'autres genres : La Comtesse (2009) d'abord, qui part d'un argument de film d'horreur avec son portrait d'Erzsébet Báthory, convaincue que le sang des vierges se révèle la meilleure des crèmes antirides. Et dans lequel Delpy parle d'elle, de la mort, du temps qui passe, de ne pas avoir assez vécu sa vie avec intensité. Même cheval de Troie avec Le Skylab (2011), où un postulat de science-fiction sur la conquête spatiale américaine (le Grand) est un prétexte pour rendre hommage à sa mère (l'Intime) et raconter le souvenir doré des vacances en famille. Idem encore avec Lolo (2015) et son histoire d'adolescent abhorrant le nouveau mec de sa maman, scénario qu'elle accommode à sa sauce, racontant comment les contraires s'attirent (sa bourgeoise d'héroïne tombe amoureuse d'un ringard joué par Dany Boon) et comment, en tant qu'actrice-cinéaste estampillée intello, elle tâte franchement de la comédie française.
On la retrouve comme actrice dans le blockbuster Avengers : L'Ère d'Ultron de Joss Whedon (2015) – « c'était très intéressant de voir comment ces énormes films sont faits » s'amuse-t-elle –, puis dans Le Teckel, drôle et triste film-somme de Todd Solondz (2016). Pour mieux revenir comme réalisatrice avec My Zoe (2020), nouvelle pièce de sa filmographie-puzzle d'alchimiste, qui poursuit une formule sacrée : traduire, de la façon la plus accessible possible, les drôles de choses qui s'agitent dans nos têtes. L'étrangeté de nos comportements et la confusion de nos identités, en bien des époques et en bien des circonstances.
Romain Le Vern