Julie Delpy a souvent été décrite dans les médias comme la plus américaine des actrices françaises. Ce qui n'est pas entièrement faux, ni totalement vrai. À y regarder de près, cette artiste polyvalente (actrice-scénariste-réalisatrice-productrice-compositrice-chanteuse) échappe si bien à toutes les cases dans lesquelles certains aimeraient à la ranger qu'elle s'est imposée comme un vrai paradoxe dans le paysage cinématographique. En d'autres termes, à force de se dévoiler devant et derrière la caméra, elle n'en est devenue que plus insaisissable avec le temps.
Julie Delpy, l'anticonformiste
Née le 21 décembre 1969 à Paris, Julie Delpy a passé son enfance à regarder ses parents Albert Delpy et Marie Pillet jouer des pièces signées Copi, Arrabal ou Topor. Elle n'a que 14 ans lorsque Jean-Luc Godard la choisit pour le film Détective (1985), avant de la rappeler deux ans plus tard pour King Lear. Soit un début de parcours fulgurant. Elle est nommée pour le César du meilleur espoir féminin en 1987 pour Mauvais Sang de Leos Carax (tournage dont elle conservera des séquelles), puis en 1988 pour La Passion Béatrice de Bertrand Tavernier, dans lequel où elle interprète la fille de Bernard-Pierre Donnadieu, son premier grand rôle.
En quête d'ailleurs
La même année, elle écrit un scénario intitulé Le Devoir des morts, une version trash d'Alice au pays des merveilles. L'éditeur Christian Bourgois veut le publier, Alain Robbe-Grillet songe à donner l'avance sur recettes. Mais on lui reproche sa jeunesse. Pendant ce temps, Agnieszka Holland et Volker Schlöndorff la réclament, respectivement pour Europa, Europa et The Voyager, en 1991. Mais c'est Krzysztof Kieślowski, en bon amoureux des doubles vies, qui devient son maître à penser : non seulement il la dirige dans sa trilogie, Trois couleurs (Bleu, Blanc et Rouge), mais surtout il l'encourage à suivre des études de cinéma à l'université de New York. Il lui fait aussi une recommandation qu'elle n'oubliera pas : « Faites des films qui vous ressemblent ».
L'intuition du cinéaste polonais sera bonne, autorisant Julie Delpy à développer un tropisme anglo-saxon et à vivre sa vie ailleurs, aux États-Unis, dans la décennie des années 90 aux allures de tremplin extraordinaire. Tout ce qu'elle incarne se transforme en culte. Prenez Killing Zoe de Roger Avary (1994), où elle joue le rôle éponyme aux côtés de Jean-Hugues Anglade et Eric Stoltz. Ou encore Before Sunrise (1995), valse-hésitation sentimentale de Jesse l'Américain et Céline la Française, qui deviendra une trilogie du couple (Before Sunset en 2004 et Before Midnight en 2013), écrit avec son partenaire Ethan Hawke et le réalisateur Richard Linklater. La même année, le magazine Variety la cite comme la seule actrice française capable de réussir aux États-Unis, tandis qu'elle passe pour la première fois derrière la caméra pour son court métrage Blah Blah Blah. Intuitive, elle se dit que jouer peut être un véhicule parfait pour donner envie à des producteurs d'accepter ses scripts (que personne ne veut financer – son combat). Actrice, elle continuera donc à l'être, dans des films fantastiques, de l'indé pur et dur, et pour ses amis : c'est elle qui, dans Broken Flowers de Jim Jarmusch (2005), claque la porte, valise à la main, abandonnant Bill Murray à ses amours fanées. Et tant pis s'il a fallu refuser des projets comme Crash de David Cronenberg, son seul regret de rendez-vous manqué.
Se raconter soi pour raconter les autres
Comme personne ne l'aide, Julie Delpy prend les choses en main, envers et contre tous. En 2001, elle tourne son coup d'essai en DV en 24 heures, avec Looking for Jimmy. Et c'est non moins seule et déterminée qu'elle viendra défendre ce long fauché sur les plateaux télé. Il lui faut réaliser, comme un besoin impérieux, se mettre en scène, parler de soi pour parler aux autres. Avec Two Days in Paris, deux ans plus tard et un an après avoir monté sa société de productions, Tempête sous un crâne, elle chope l'air du temps. Une escapade parisienne pour couple franco-américain où elle se met en scène avec Adam Goldberg, rencontré sur True Love (1999), moquant les us et coutumes franco-français et traduisant les frustrations inhérentes à la vie à deux. Les critiques évoquent Woody Allen, mais c'est bien son style à elle, sa constellation de névroses, son goût des mélanges explosifs : le cinéma d'auteur et le popu trivial, la familiarité de l'autofiction et l'universalité de doutes face au monde, le questionnement intime versus la géopolitique.
Ses films suivants confirmeront toutes ces obsessions en empruntant d'autres genres : La Comtesse (2009) d'abord, qui part d'un argument de film d'horreur avec son portrait d'Erzsébet Báthory, convaincue que le sang des vierges se révèle la meilleure des crèmes antirides. Et dans lequel Delpy parle d'elle, de la mort, du temps qui passe, de ne pas avoir assez vécu sa vie avec intensité. Même cheval de Troie avec Le Skylab (2011), où un postulat de science-fiction sur la conquête spatiale américaine (le Grand) est un prétexte pour rendre hommage à sa mère (l'Intime) et raconter le souvenir doré des vacances en famille. Idem encore avec Lolo (2015) et son histoire d'adolescent abhorrant le nouveau mec de sa maman, scénario qu'elle accommode à sa sauce, racontant comment les contraires s'attirent (sa bourgeoise d'héroïne tombe amoureuse d'un ringard joué par Dany Boon) et comment, en tant qu'actrice-cinéaste estampillée intello, elle tâte franchement de la comédie française.
On la retrouve comme actrice dans le blockbuster Avengers : L'Ère d'Ultron de Joss Whedon (2015) – « c'était très intéressant de voir comment ces énormes films sont faits » s'amuse-t-elle –, puis dans Le Teckel, drôle et triste film-somme de Todd Solondz (2016). Pour mieux revenir comme réalisatrice avec My Zoe (2020), nouvelle pièce de sa filmographie-puzzle d'alchimiste, qui poursuit une formule sacrée : traduire, de la façon la plus accessible possible, les drôles de choses qui s'agitent dans nos têtes. L'étrangeté de nos comportements et la confusion de nos identités, en bien des époques et en bien des circonstances.
Romain Le Vern
Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 21 juin au 4 juillet 2021
Les films
- Blah blah blah Julie Delpy / France / 1995 CM Ve 2 juil 19h00
- Comtesse (La) Julie Delpy / Allemagne-France / 2008 Je 24 juin 19h00
- J'ai peur, j'ai mal, je meurs Julie Delpy / France / 2004 CM Sa 26 juin 17h30
- Lolo Julie Delpy / France / 2014 Di 27 juin 20h00
- Looking for Jimmy Julie Delpy / États-Unis / 1998 Ve 2 juil 19h00
- My Zoe Julie Delpy / Grande-Bretagne-Allemagne-France / 2018 Lu 21 juin 20h00 Lu 21 juin 20h15
- On the Verge - Épisode 1 Julie Delpy / États-Unis / 2021 CM Lu 28 juin 20h00
- On the Verge - Épisode 2 Julie Delpy / États-Unis / 2021 CM Lu 28 juin 20h00
- On the Verge - Épisode 3 Julie Delpy / États-Unis / 2021 CM Lu 28 juin 20h00
- Skylab (Le) Julie Delpy / France / 2010 Di 27 juin 17h00
- Two Days in New York Julie Delpy / France-Allemagne-Belgique-États-Unis / 2010 Sa 26 juin 19h45
- Two Days in Paris Julie Delpy / France-Allemagne-Grande-Bretagne / 2006 Sa 26 juin 17h30
Julie Delpy actrice
- Before Midnight Richard Linklater / États-Unis / 2012 Di 4 juil 21h45
- Before Sunrise Richard Linklater / États-Unis / 1994 Di 4 juil 17h00
- Before Sunset Richard Linklater / États-Unis / 2003 Di 4 juil 19h30
- Broken Flowers Jim Jarmusch / Etats-Unis, France / 2004 Me 30 juin 19h00
- Killing Zoe Roger Avary / France / 1993 Sa 3 juil 17h00
- King Lear Jean-Luc Godard / France / 1987 Ve 2 juil 18h00
- Mauvais Sang Leos Carax / France / 1986 Sa 26 juin 15h00
- Nuit obscure (La) Carlos Saura / Espagne-France / 1989 Lu 5 juil 20h00
- Passion Béatrice (La) Bertrand Tavernier / France-Italie / 1987 Me 30 juin 21h15
- Teckel (Le) Todd Solondz / États-Unis / 2015 Sa 3 juil 19h00
- Trois couleurs : Blanc Krzysztof Kieślowski / France-Suisse-Pologne / 1993 Sa 3 juil 21h00
Rencontres et conférences
- My Zoe Julie Delpy

- My Zoe Julie Delpy

- King Lear Jean-Luc Godard
- Blah blah blah Julie Delpy CM
- Looking for Jimmy Julie Delpy

- Killing Zoe Roger Avary
- Le Teckel Todd Solondz
- Trois couleurs : Blanc Krzysztof Kieślowski
- Before Sunrise Richard Linklater

- Before Sunset Richard Linklater
- Before Midnight Richard Linklater
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20h00
Ouverture de la rétrospective – Avant-première à l'issue de laquelle Julie Delpy répondra aux questions du public (Séance privée)
- My Zoe Julie Delpy
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20h15
Ouverture de la rétrospective – Avant-première à l'issue de laquelle Julie Delpy répondra aux questions du public (Séance réservée aux abonnés Libre Pass sur réservation)
- My Zoe Julie Delpy
Autour de l'événement

My Zoe
Un film de Julie Delpy (1h42 – 2021)
Avec Julie Delpy, Richard Armitage, Daniel Brühl, Gemma Arterton
Après son divorce, Isabelle, généticienne, tente de reprendre sa vie en main. Elle tombe amoureuse et décide de relancer sa carrière.Mais son ex-mari, James a du mal à l'accepter et lui rend la vie dure dans la bataille qu'il mène pour obtenir la garde de leur fille Zoe. Une tragédie les frappe et la famille s'en trouve brisée. Isabelle décide alors de prendre le destin en main.
Le 30 juin au cinéma

On the Verge
Une création originale CANAL+
Une série de 12 épisodes de 30 minutes créée par Julie Delpy
Écrite par Julie Delpy et Alexia Landeau
Réalisée par Julie Delpy, Mathieu Demy, David Petrarca
Produite par Michael Gentile et Lauraine Heftler pour The Film TV
Avec Julie Delpy, Elizabeth Shue, Sarah Jones, Alexia Landeau, Mathieu Demy, Giovanni Ribisi ...
On the Verge suit les aventures de quatre amies qui vont devoir affronter leur midlife crisis dans un Los Angeles pré-Covid. Dans cette dramédie jubilatoire, Julie Delpy, par son regard d'expatriée, dresse un portrait drôle et impertinent de la société américaine.
Diffusion en exclusivité prochainement sur CANAL+
Photo © The Film TV
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Partenaires et remerciements
Julie Delpy, ARP Selection, Bac Films, Cercamon, Cinémathèque de Toulouse, Diaphana Distribution, Le Bureau, Pathé, Polaris Film prod & finance, Tamasa Distribution, The Film.