Le Maître de l'espace
« Je travaille dans l'implicite. » (Joseph Losey)
Le statut de Joseph Losey semble, aujourd'hui, un peu imprécis, flou, insaisissable. Il fut le champion d'une fraction extrémiste de la cinéphilie française, essentiellement, mais pas uniquement, pour ses films noirs hollywoodiens. Il fut celui qui dynamita le cinéma britannique en en exposant parfois, de façon élégante et crue à la fois, le refoulé. Il fut aussi, à la fin de sa carrière, un auteur international, prestigieux, régulièrement invité dans les grandes manifestations depuis l'obtention d'une Palme d'or en 1970. Cette caractéristique est bien sûr la conséquence d'une vie faite de déracinements et d'exils, d'expériences et de commandes, d'improvisations et d'obsessions répétées. Peut-on considérer l'œuvre de Joseph Losey comme un bloc ? Faut-il la diviser en périodes, en fonction des lieux de sa production tout autant que de son inégale qualité selon certains ?
La raison d'être d'une rétrospective intégrale des films d'un cinéaste pourrait rassasier une conception rigoureuse et quasi scientifique de l'histoire du cinéma, mais elle pourrait tout autant encourager une vision maniaque et paradoxalement confuse de celle-ci. Reconnaissons-lui le mérite de permettre que soit réinterrogée la nature même de sa perception aux différents moments de son histoire. Il est donc temps de revoir les films de Joseph Losey, cinéaste qui eut toute l'attention de ceux qui revendiquaient un rapport particulier et fanatique au cinéma parce qu'ils étaient attachés, de façon presque dogmatique, à un concept incertain et pourtant absolu, ineffable et tranchant, celui de mise en scène.
Un cinéaste de l'Idée ?
On pourrait, à tort, ne voir en Losey qu'un cinéaste d'idées, celles d'un artiste venu du théâtre de gauche, un produit et un instrument du Federal Theater Project rooseveltien, un collaborateur de Bertolt Brecht, un contemporain, dans sa jeunesse, de l'élan progressiste né de la crise que traverse, dans les années 1930, le capitalisme, et de la Seconde Guerre mondiale vue comme une lutte à mort contre le fascisme. Contexte qui déterminera, en plus de la déception que lui cause l'industrie cinématographique loin de l'ambiance du théâtre new-yorkais, une adhésion de Losey, en 1946, au Parti communiste. Ce qui lui valut de devoir s'exiler en Grande-Bretagne en 1953 pour échapper à la persécution maccarthyste.
L'Idée est ainsi singulièrement déterminante, sous la forme, peut-être un peu trop évidente, d'une allégorie pure, dans le premier film qu'il réalisera pour le cinéma, Le Garçon aux cheveux verts (1948), où il sera contraint néanmoins de transformer la parabole antiraciste en plaidoyer pacifiste. Mais elle façonnera aussi sa manière de vouloir dépeindre une communauté rongée par la peur, la bigoterie, la haine et l'égoïsme. Des films comme ce Garçon aux cheveux verts, Haines, Le Rôdeur, avec leurs petites villes mesquines, leurs banlieues étriquées, leurs ménagères frustrées, se veulent l'envers d'une représentation idéaliste de l'Amérique profonde. Cette vision politique se transformera, avec son départ en Angleterre, en fictions où les rapports de classe sont déterminants dans les relations entre les individus, à la faveur de récits criminels ou non, et où une psychologie souvent perverse ira progressivement supplanter, sans l'annuler, le regard sociologique.
Un cinéaste de la forme ?
L'homme, dans les films de Losey, est le jouet de forces qui tentent perpétuellement de le broyer, de lui faire perdre son identité, de le renvoyer à sa condition. Ce sont des forces obscures, sociales ou psychiques, à quoi la mise en scène seule confère une existence dynamique et plastique. La course de Dean Stockwell traqué par les gamins qui le harcèlent dans les rues, soudain désertes, de la petite ville jusqu'alors toujours animée dans Le Garçon aux cheveux verts, celle du meurtrier de M dans un Los Angeles fantomatique, jusqu'à celles des deux fugitifs, véritables silhouettes abstraites au centre du paysage (Figures in a Landscape est le titre original) de l'allégorique Deux hommes en fuite, dévoilent des individus plongés au cœur d'un monde menaçant, inhumain, un monde auquel il est impossible d'échapper. Car c'est le lieu lui-même qui est le principal protagoniste des films de Losey, non pas quelque chose qui se réduirait au simple décor, mais qui s'affirmerait plutôt comme un espace doté d'une vie autonome, un espace qui, en soi, contiendrait la vérité de tel personnage, révélerait le rapport qui en lie d'autres, inscrirait le destin de tous. L'escalier de The Servant, la falaise des Damnés, l'atelier de L'Enquête de l'inspecteur Morgan, la chambre à coucher d'Eva, le coin de tranchée où se déroule l'essentiel de Pour l'exemple, les différentes maisons habitées par les protagonistes de la plupart des films, structurent tout à la fois la nature des personnages et en inscrivent l'évolution de leur existence. Le décor n'est pas, pour autant, chez Losey, au service d'un expressionnisme de façade. Il relève d'une logique autre que celle de se contenter de figurer l'irruption de la vie psychique dans un espace réel. Il est la respiration même des films.
La manière dont s'affirme cette dialectique singulière, confrontant un espace et une action qui aurait autant d'importance que lui, a souvent valu au cinéma de Losey le qualificatif de baroque, caractéristique visuellement soutenue notamment par la présence et l'usage récurrent des miroirs dans les films. La multiplication virtuelle des espaces, les reflets infinis, et parfois déformés (The Servant) du monde, questionnent surtout et perpétuellement l'identité des êtres et des choses, interrogation abyssale qui débouchera sur le chef-d'œuvre ultime du cinéaste, Monsieur Klein.
Ce que l'on appelle mise en scène au cinéma, concept aux contours souvent imprécis, serait, à l'état pur, le résultat d'une alchimie où la valeur et la durée des plans, les mouvements de caméra, le découpage, le choix et le jeu d'un acteur, raconteraient, en eux-mêmes, une histoire qui ne se réduirait pas au scénario et à la simple verbalisation des émotions et des volontés, voire s'en distinguerait et même les contredirait (La Bête s'éveille). C'est sans doute son apprentissage théâtral qui à fait comprendre à Losey que l'espace scénique, virtuel et mouvant, défini par l'œil de la caméra, est à la fois un lieu et un texte. Cette maîtrise de la mise scène, qui sauverait presque certains projets insauvables, caractérise une œuvre tout à la fois multiple et cohérente, labile et compacte.
Jean-François Rauger
Dans les salles
Films, rencontres, conférences, spectacles
Du 6 janvier au 7 février 2022
Les films
- Accident Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1966 Sa 15 jan 14h30 Je 20 jan 16h45
- Assassinat de Trotsky (L') Joseph Losey / Italie-France-Grande-Bretagne / 1971 Ve 14 jan 17h00 Lu 7 fév 17h30
- Bête s'éveille (La) Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1954 Di 16 jan 18h00 Ve 28 jan 19h30
- Boom! Joseph Losey / Grande-Bretagne-États-Unis / 1967 Di 23 jan 19h00
- Cérémonie secrète Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1968 Di 23 jan 21h30
- Criminels (Les) Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1960 Di 9 jan 18h15 Ve 21 jan 17h00
- Damnés (Les) Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1961 Je 13 jan 17h00 Di 30 jan 14h30
- Deux hommes en fuite Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1969 Di 16 jan 20h00 Me 26 jan 17h15
- Don Giovanni Joseph Losey / France-Italie-RFA / 1978 Me 19 jan 19h45 Ve 4 fév 16h00
- Enquête de l'inspecteur Morgan (L') Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1959 Je 13 jan 19h30 Di 23 jan 17h00
- Étrangère intime (L') Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1955 Lu 10 jan 21h00 Me 2 fév 17h00
- Eva Joseph Losey / France-Italie / 1961 Di 9 jan 20h15 Sa 29 jan 18h15
- Galileo Joseph Losey / Grande-Bretagne-Canada / 1974 Me 26 jan 19h30 Sa 5 fév 19h00
- Garçon aux cheveux verts (Le) Joseph Losey / États-Unis / 1948 8 Ve 7 jan 19h00 Sa 22 jan 19h00
- Gipsy Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1957 Lu 10 jan 17h00 Ve 21 jan 20h00
- Grande Nuit (La) Joseph Losey / États-Unis / 1951 Sa 8 jan 19h00 Je 20 jan 21h30
- Haines Joseph Losey / États-Unis / 1949 Ve 7 jan 21h00 Sa 22 jan 21h00
- M Joseph Losey / États-Unis / 1951 Je 13 jan 21h30 Di 6 fév 16h45
- Maison de poupée Joseph Losey / Grande-Bretagne-France / 1972 Me 26 jan 16h45 Lu 31 jan 19h00
- Messager (Le) Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1970 Sa 15 jan 20h45 Je 3 fév 16h30
- Modesty Blaise Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1965 Lu 17 jan 16h30 Di 6 fév 14h15
- Monsieur Klein Joseph Losey / France-Italie / 1975 Je 6 jan 20h00 Sa 22 jan 14h30
- Pour l'exemple Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1964 Sa 8 jan 15h00 Lu 31 jan 17h00
- Rôdeur (Le) Joseph Losey / États-Unis / 1950 Sa 8 jan 17h00 Sa 5 fév 15h00
- Routes du sud (Les) Joseph Losey / France-Espagne / 1977 Me 12 jan 19h30 Di 30 jan 17h00
- Servant (The) Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1963 Sa 8 jan 21h00 Sa 5 fév 17h00
- Steaming Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1983 Ve 21 jan 22h15 Lu 31 jan 21h15
- Temps sans pitié Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1957 Sa 15 jan 18h45 Sa 29 jan 14h30
- Truite (La) Joseph Losey / France / 1982 Lu 24 jan 17h00 Me 2 fév 19h00
- Un homme à détruire Joseph Losey / Italie / 1951 Lu 10 jan 19h00 Je 27 jan 17h00
- Une Anglaise romantique Joseph Losey / Grande-Bretagne-France / 1974 Je 20 jan 19h00 Ve 28 jan 16h30
Courts métrages
- A Gun in His Hand Joseph Losey / États-Unis / 1945 CM Sa 29 jan 21h00
- A Man on the Beach Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1955 CM Sa 29 jan 21h00
- First on the Road Joseph Losey / Grande-Bretagne / 1960 CM Sa 29 jan 21h00
- Pete Roleum and His Cousins Joseph Losey / États-Unis / 1939 CM Sa 29 jan 21h00
- Youth Gets a Break Joseph Losey / États-Unis / 1941 CM Sa 29 jan 21h00
Rencontres et conférences
- Discussion avec Jean-François Rauger (Discussion annulée) Ve 28 jan 19h30
- Discussion avec Michel Ciment animée par Frédéric Bonnaud Sa 15 jan 14h30
- Signature par François Angelier et Jean Narboni Sa 22 jan 17h45
- Signature par Michel Ciment Sa 15 jan 17h15
- Table ronde avec François Angelier et Jean Narboni. Rencontre animée par Frédéric Bonnaud Sa 22 jan 14h30
- Gipsy Joseph Losey

- Un homme à détruire Joseph Losey
- L'Étrangère intime Joseph Losey

- Les Routes du sud Joseph Losey

- Les Damnés Joseph Losey
- L'Enquête de l'inspecteur Morgan Joseph Losey
- M Joseph Losey

- Modesty Blaise Joseph Losey

- Don Giovanni Joseph Losey

- Accident Joseph Losey
- Une Anglaise romantique Joseph Losey
- La Grande Nuit Joseph Losey
- Les Criminels Joseph Losey

- Gipsy Joseph Losey
- Steaming Joseph Losey
- Monsieur Klein Joseph Losey
- Table ronde avec François Angelier et Jean Narboni Rencontre animée par Frédéric Bonnaud
- Signature par François Angelier et Jean Narboni

- Le Garçon aux cheveux verts Joseph Losey 8
- Haines Joseph Losey

- La Truite Joseph Losey
- Maison de poupée Joseph Losey

- Deux hommes en fuite Joseph Losey
- Galileo Joseph Losey

- Un homme à détruire Joseph Losey

- Une Anglaise romantique Joseph Losey
- La Bête s'éveille Joseph Losey
- Discussion avec Jean-François Rauger (Discussion annulée)
- Pour l'exemple Joseph Losey
- Maison de poupée Joseph Losey

- Steaming Joseph Losey

- Le Messager Joseph Losey

- Don Giovanni Joseph Losey
-
14h30
Michel Ciment ne sera pas présent
- Monsieur Klein Joseph Losey
- Table ronde avec François Angelier et Jean Narboni Rencontre animée par Frédéric Bonnaud
-
17h45
Michel Ciment ne sera pas présent
- Signature par François Angelier et Jean Narboni
-
19h00
- Le Garçon aux cheveux verts Joseph Losey
-
21h00
- Haines Joseph Losey
Autour de l'événement

Ressorties et coffret Blu-ray
Restauration en 4K par StudioCanal de Mr. Klein et de The Servant de Joseph Losey en avant-première à la Cinémathèque française les 6 et 8 janvier 2022.
Coffret Blu-ray Mr. Klein – StudioCanal – Édition collector, hors-série « Make My Day ! »
Six heures de bonus dont une analyse exclusive de Michel Ciment et un livre de 180 pages par Samuel Blumenfeld, François Angelier, Olivier Père, Stéphane Bou, Jean-Baptiste Thoret, Jacques Gerstenkorn...
Ressorties en salles par Les Acacias de Mr. Klein, Le Messager et The Servant au premier trimestre 2022.
Signature du coffret par François Angelier et Michel Ciment
Samedi 22 janvier 2022, à partir de 17h45, à la librairie de la Cinémathèque.

Institut Lumière
Rétrospective Joseph Losey à Lyon
En écho à la rétrospective proposée par la Cinémathèque française, rétrospective Joseph Losey à l'Institut Lumière à Lyon du 20 janvier au 15 mars.
Découvrir
Partenaires et remerciements
Academy Film Archive (Edda Manriquez), BFI National Archive (Corinne Riecher), Carlotta Films, Cinémathèque Royale de Belgique (Arianna Turci), Classic Films (Edu Ferrer), Fondazione Cineteca di Bologna (Carmen Accaputo), Gaumont, La Cinémathèque québécoise (Nicolas Dulac), StudioCanal, Les Acacias, NARA (National Archives and Records Administration), Park Circus, Solaris Distribution, Splendor Films, Tamasa Distribution, Universal Pictures International, University of Colorado (Jacob D. Barreras, Pablo Kjølseth, Sabina Negri), Warner Bros. Pictures France (Clara Pineau).
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