John McTiernan
Du 10 au 28 septembre 2014
Un art ludique
À la fin des années 1970, le cinéma hollywoodien s’est mis à changer de visage. À l’errance moderniste, à l’ambiguïté morale, au doute existentiel, à la quête névrotique, s’est substitué un moment de recomposition, une fausse restauration esthétique et idéologique au terme de laquelle tout se devait d’être désormais idéalement bouclé sur soi-même. Il fallait, à ce moment précis (un moment, il faut le dire, a priori plus problématique), quelques cinéastes pour à la fois inventer ces nouvelles formes et leur donner une incarnation idéale. John McTiernan fut de ceux-là, qui façonna une nouvelle manière de filmer l’action, inventant pour partie ce que sera le « post-Nouvel Hollywood », cette jungle au cœur de laquelle il mènera de nombreux combats pour conserver son autonomie artistique.
John McTiernan est né le 8 janvier 1951 à Albany, dans l’État de New York. Il fait des études à la célèbre et rigide Julliard School de New York. Il écrit et réalise son premier film en 1985, une production indépendante, Nomads, original récit de fantômes qui ne rencontrera pas le succès. Mais c’est pour le producteur Joel Silver et la 20th Century Fox qu’il réalise Predator en 1987. Le film est un original et tonique mélange de fiction guerrière et de science-fiction. Comme si Aventures en Birmanie de Raoul Walsh rencontrait Alien de Ridley Scott. Syncrétisme des genres existants, mais surtout nouveaux corps de cinéma (Arnold Schwarzenegger), nouvel alliage de la technologie (c’est encore le début des effets spéciaux numériques) et de l’humain. Le succès de Predator lui permet de réaliser Die Hard (Piège de cristal), qui fait un carton au box-office. L’action à Hollywood sera désormais construite sur ce prototype incarné par Bruce Willis, pieds nus et en maillot de corps, nouvelle icône de l’entertainment hollywoodien, affrontant seul un groupe de faux terroristes mais vrais cambrioleurs sans scrupules dans les étages et sur le toit d’un gratte-ciel de Los Angeles. Plutôt que de réaliser la suite attendue de ce succès, John McTiernan adapte un roman de Tom Clancy, À la poursuite d’Octobre rouge (1990) et parvient à transformer un genre a priori ingrat (le film de sous-marin), par l’effet d’une science diabolique du montage, en intense suspense. Suivra Medicine Man (1992), drame original dans lequel il reprend Sean Connery, héros du précédent film. L’année d’après, Last Action Hero sera une fantaisie pirandellienne, une habile mise en abyme, une relecture postmoderne du genre qu’il a lui-même contribué à inventer. Die Hard with a Vengeance (Une journée en enfer), tourné en 1995, est un sequel de Piège de cristal dans lequel McTiernan semble prendre toutes les libertés possibles. L’épique Treizième guerrier, en 1999, sera le prétexte d’un conflit avec son producteur dont il ne sortira pas vainqueur, même si le film conserve de nombreuses beautés. The Thomas Crown Affair surclasse aisément, par son élégance et sa virtuosité, le film dont il est le remake, et Rollerball, en 2002, sera à la fois une expérience douloureuse pour le cinéaste et un autre remake, cette fois-ci à demi réussi. Et c’est avec Basic, en 2003, que McTiernan retrouve le goût du jeu qui caractérise son cinéma.
Le cinéma comme jeu
Car très souvent, un film de McTiernan semble procéder d’un pari astucieux et ludique : mélanger film de guerre et monstre de science-fiction, enfermer son personnage dans une tour de Los Angeles, imaginer des poursuites de sous-marins. Le jeu est même le sujet d’Une journée en enfer, où le héros du film est soumis à une série d’épreuves par le « méchant » dans un temps compté. Le braquage d’œuvres d’art devient un passe-temps de riche dilettante (Thomas Crown). Basic imagine une habile combinatoire narrative où les événements montrés varient en fonction des bifurcations possibles du récit. Le cinéma semble être pour le réalisateur un terrain d’expérimentation au centre duquel il peut ainsi appliquer toute sorte de trouvailles à la fois esthétiques et techniques, sans arrêt obsédé par l’idée de faire de la caméra elle-même « un narrateur, une voix active, presque un commentaire de l’action en train de se faire ». Si tout désormais se doit d’être bouclé, dans un cinéma américain qui rejette le doute, l’incertitude et les contradictions non résolues, McTiernan déplace le centre névralgique du divertissement dans la figuration de nouveaux types de corps, dans l’invention d’une silhouette humaine postmoderne, à la fois fragile et irréelle.
Des corps indestructibles et souffrants
Arnold Schwarzenegger, Bruce Willis, Samuel J. Jackson, et d’autres, incarnent des personnages à la fois invincibles et souffrants. Le corps est sculpté et confronté à ce qui est à la fois son « idéal » hors d’atteinte et ce qui le nie : la machine elle-même, le « Predator » bio-organique, la structure de verre et de béton de l’immeuble de Piège de cristal, les impressionnants submersibles de À la poursuite d’Octobre rouge. Soumis à des épreuves indescriptibles, le personnage se relève inlassablement de tous les coups et de toutes les chutes, créature de dessin animé à la plasticité à toute épreuve. Mais un corps inusable peut aussi être un corps souffrant. Les personnages des films de McTiernan témoignent en effet, par ailleurs, d’une appétence masochiste singulière, perpétuellement malmenés (Bruce Willis marchant pieds nus sur des débris de verre dans Piège de cristal), avant de parvenir à leur fin. McTiernan aura réussi à fusionner l’intensité et la distance, l’humour et la violence, à donner à la physionomie extatique de l’action telle que Hollywood semble désormais la pratiquer depuis les années 1980, une forme parfaite et, disons-le, parfois songeuse. Les influences de son cinéma sont nombreuses et plus subtiles qu’on le croit, proposant des alliages contre nature qui verraient se rencontrer Shakespeare et les cartoons de Tex Avery.
Jean-François Rauger